Sexe et sport : un appel à la recherche

Les Jeux olympiques de Rio débuteront dans un peu moins d’un mois et le débat persistant qui propose l’augmentation de la prostitution et de la traite des êtres humains lors de la tenue de grands événements sportifs refait surface. Et cette question se pose lors de la tenue de chacun de ces événements, que ce soit la Coupe du Monde ou les grands prix de Formule 1. À ce titre, le 1er juin dernier, le Phare des Affranchi(e)s, en collaboration avec le Y des femmes de Montréal (YWCA), la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES), le Comité d’action contre la traite humaine interne et internationale (CATHII) et le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, a lancé la campagne « Acheter du sexe n’est pas un sport » (un titre repris de la campagne allemande de 2006, sévèrement critiqué, qui visait sensiblement le même objectif) afin de sensibiliser la population et les touristes à l’exploitation sexuelle qui a lieu lors de grands événements sportifs. Cette campagne était appuyée et notamment financée par le Secrétariat à la Condition féminine du Québec. Dans le communiqué de presse conjoint de cette campagne, on y lit que le grand Prix de Montréal est un événement « ravageur en matière de traite humaine » lors duquel « l’exploitation sexuelle croit de manière alarmante ».

La couverture médiatique de cette campagne révèle timidement deux problèmes fondamentaux que soulève cette hypothèse : l’amalgame entre augmentation de la prostitution/traite des êtres humains et événements sportifs permet une confusion des notions, mais surtout ne s’appuie sur aucune étude statistique en la matière ! En effet, les études scientifiques, statistiques, ou empiriques, ne suivent pas le mouvement. Rien dans la littérature ne permet d’affirmer que les événements sportifs entrainent une augmentation de l’exploitation sexuelle, peu importe que l’on parle ici de prostitution ou de traite des êtres humains. En effet, si l’augmentation de l’offre de services sexuels a semblé se confirmer, rien n’est moins certain quant à la demande. L’hypothèse selon laquelle la prostitution et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation croient lors de grands événements sportifs doit encore être démontrée. Et il semble urgent de répondre à cette demande principalement, car cette posture n’aide aucune des deux causes. Plus encore, traite des êtres humains et prostitution sont deux notions juridiquement distinctes.

La traite des êtres humains est internationalement définie au Protocole de Palerme, adopté en l’an 2000, comme « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. » Ce même texte international définit l’exploitation « au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes. » Il s’agit bel et bien d’un crime internationalement reconnu auquel aucune forme de consentement ne peut être acquise. Il n’existe pas de débat sur l’approche à retenir en la matière ; la traite des personnes doit être abolie.

Quant à la prostitution, elle ne trouve pas de définition en droit international. À la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui de 1949 (la dernière en lice en la matière), on qualifie tout de même la prostitution de violation des droits humains et on reconnaît aux États l’obligation d’éliminer son exploitation incluant le proxénétisme sous toutes ses formes.

Il n’en demeure pas moins qu’il existe quatre grandes approches de la gestion de la prostitution qui ont émergé au fil du temps : la criminalisation, la dépénalisation partielle ou l’abolitionnisme, la décriminalisation et la légalisation. Si des arguments à la fois pour et contre peuvent être avancés pour appuyer ou renier chacune d’elles, une analyse réellement objective de ces approches est difficilement réalisable, car la prostitution est largement confondue, d’une part, avec l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains et, d’autre part, car il n’y a pas de consensus sur ce que signifie l’idée même de vendre des services sexuels. Par conséquent, le discours sur les différentes approches tend à polariser les acteurs, justifiant le rejet rapide de l’une et l’autre des approches.

Dans un régime qui criminalise la prostitution, tel que les États-Unis (exception faite du Nevada), tous les aspects, de la vente à l’achat de sexe, ainsi que toutes les formes de participation – sollicitation, offre, consommation, etc. – sont tous des comportements élevés en infraction pénale. L’objectif de la criminalisation complète est d’éradiquer l’industrie du sexe. Dans cette perspective, la prostitution doit être condamnée, car elle consiste en une nuisance morale qui menace la santé publique et conduit à d’autres formes d’activités criminelles. L’État tente ainsi de réduire l’offre et la demande de prostitution en dissuadant, et condamnant, tant les prostituées que les clients.

Dans un régime qui dépénalise partiellement la prostitution, dont la Suède et le Canada, les activités des prostitués sont décriminalisées, mais l’ensemble des autres activités liées à la prostitution, tel que l’achat de services sexuels ou la facilitation de la prostitution, sont toujours criminalisées. Ainsi, bien que la prostitution demeure une infraction, les prostitués sont considéré.e.s comme des victimes d’exploitation sexuelle, des personnes vulnérables par essence. Ainsi, on cherche à diminuer la demande, sans condamner l’offre.

Dans un régime qui décriminalise la prostitution, toutes les lois en la matière ont été abrogées et aucun contrôle spécifique à la prostitution ne s’impose. On y distingue la prostitution de la traite des êtres humains ainsi que de l’exploitation sexuelle. Toutes les formes de prostitution consensuelle sont permises. En théorie, la prostitution est ici considérée comme une entreprise légitime qui ne doit pas être différenciée de toute autre forme d’entreprise. La décriminalisation met ainsi l’accent sur les droits des prostitué.e.s et de leurs client.e.s. Il n’y a pas de lutte contre l’offre ou la demande, mais bien contre les actes non consentis, c’est-à-dire contre l’exploitation. Aucun État n’a totalement décriminalisé la prostitution. La Nouvelle-Zélande s’en est approchée, mais elle verse aujourd’hui plutôt verse la légalisation.

Dans un régime qui légalise la prostitution, tels que l’Allemagne et les Pays-Bas, celle-ci est officiellement autorisée moyennant certaines conditions, prévues par le gouvernement. On nomme également cette approche réglementariste, car il y a une réglementation de l’industrie du sexe. Les contrôles gouvernementaux peuvent inclure, par exemple, l’enregistrement de maisons closes, l’obtention de permis, l’inscription des prostitué.e.s dans un registre ou que ces dernières se soumettent à des examens de santé obligatoires.

En somme, si la notion sous-jacente d’exploitation est universellement reconnue à la traite des êtres humains, elle demeure au cœur du débat en matière de prostitution. Par conséquent, si l’on veut produire une étude rigoureuse sur le sujet afin de vérifier l’hypothèse selon laquelle la prostitution et/ou la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle connaissent une augmentation lors de grands événements sportifs, il est grand temps d’agir autrement et de financer la recherche scientifique en ce sens.

Les consultations publiques de la ministre du Commerce international sur le PTP : What’s the point ?

Par Kristine Plouffe-Malette, Candidate au doctorat en droit, Université de Sherbrooke, Boursière CERIUM, et Stéphane Paquin, Professeur, ENAP

Le 14 janvier dernier, à l’initiative du Centre d’études et de recherche internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), la nouvelle ministre du Commerce international, Chrystia Freeland, s’est prêtée au jeu de la consultation publique relative au Partenariat Transpacifique (PTP) en s’adressant à des universitaires, des chercheurs, des professionnels ainsi que des membres de la société civile. Faut-il le rappeler, le PTP c’est douze pays, 40 % de l’économie mondiale et près de 85 % des exportations canadiennes, soit la création de l’une des plus grandes zones de libre-échange.

Si elle a évoqué les bienfaits du libre-échange, la vigueur et la prospérité de l’économie canadienne, elle a tôt fait de rappeler la promesse électorale formulée par le gouvernement de Justin Trudeau l’automne dernier : s’il formait le prochain gouvernement au Parlement du Canada, il s’engageait à consulter publiquement les Canadiens sur cet accord commercial historique. Cette promesse est également inscrite dans la lettre de mandat de la ministre du Commerce international. On peut y lire qu’elle doit « organiser des consultations sur la participation potentielle du Canada au Partenariat transpacifique (PTP) ».

Mais pourquoi, précisément, le gouvernement souhaite-t-il consulter les Canadiens ? En effet, tout porte à croire que le Canada signera l’accord tel qu’il a été négocié, et rendu public le 5 novembre dernier, le 4 février prochain lors de la rencontre des États potentiellement parties au traité à Auckland en Nouvelle-Zélande.

La ministre a proposé une interprétation inaccoutumée de la signification de ce qu’est une signature en droit international. En effet, cette dernière a insisté sur la distinction à faire entre cette signature, qu’elle a qualifiée de « technique », et la ratification, qu’elle juge bien plus importante.

Or, en droit international, l’étape de la signature permet de clôturer les négociations, d’authentifier le texte négocié dans sa version finale, qui n’est plus susceptible de modification, et de faire la transition vers l’expression du consentement de l’État à être lié, c’est-à-dire la ratification. De fait, si la signature n’engage pas formellement l’État signataire à appliquer les dispositions du traité, ce dernier s’engage à ne pas agir de sorte à priver le traité de son objet et de son but. Qui plus est, l’État signataire a l’obligation d’examiner ce dernier de bonne foi afin de déterminer sa position définitive – sa ratification – à son égard. Cette ratification n’est, elle, généralement pas obligatoire.

La ministre a raison lorsqu’elle nous dit que le Canada ne sera formellement lié par le PTP que lorsqu’il y aura eu ratification. Cependant, rien ne permet de croire que le fruit des consultations publiques pourra être inclus au PTP. Lors de cette consultation publique à laquelle nous avons assisté, tout y a été évoqué dans les différentes demandes des intervenants ! Révision ou abandon du mécanisme de règlement des différends, gestion de l’offre, propriété intellectuelle, santé, agriculture, immigration, souveraineté, emploi, etc.

De plus, cette signature canadienne prend d’autant plus son sens que la ministre a rappelé que les dispositions qui prévoient l’entrée en vigueur du PTP sont détaillées. Le Canada, comme tous les autres États, s’il signe l’accord le 4 février, devrait normalement le ratifier au cours des deux prochaines années pour s’assurer de l’entrée en vigueur du PTP. Dans le cas contraire, si le Parlement canadien retardait sa ratification, le PTP pourrait tout de même entrer en vigueur si 6 des signataires originaux, représentant au moins 85 % du produit intérieur brut combiné, ratifiaient l’accord. Certes, cette entrée en vigueur ne serait effective que pour les États ayant ratifié le traité. Toutefois, dans tous les cas de figure, les négociations de cet accord auront été arrêtées à la signature, peu importe le moment de la ratification. Par conséquent, l’étape de la signature du Canada semble loin de la technicité annoncée par la ministre.

Dans ce contexte, comment expliquer l’attitude du gouvernement du Canada sur le sujet ? Est-ce qu’il joue la conjecture de Schelling (Nobel 2005) ? Autrement dit, cherche-t-il à renforcer son pouvoir de négociation à l’international en prétextant que des acteurs nationaux d’importance s’opposent à la ratification ? Il s’agit d’une stratégie très souvent utilisée aux États-Unis. Le Canada peut-il prétendre avoir le même poids que les États-Unis d’autant plus qu’il s’est joint tardivement aux négociations ? Cette promesse de consulter les Canadiens s’explique-t-elle plus par une incompréhension des concepts du droit international ? Ou est-ce une façon cynique de remplir une promesse électorale à faible coût ?

Au vu de ce qui précède, il devient légitime de se demander à quoi servent ces consultations publiques.

 

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