Privilège parlementaire: une jurisprudence à récrire

Dans l’excellent article qu’il faisait paraître en 2014, Marc-André Roy s’inquiétait des « lacunes dans la définition et la compréhension du privilège parlementaire au Canada [, qui] peuvent se révéler problématiques et même dangereuses pour le maintien de la primauté du droit, surtout lorsque ce type de privilège entre en conflit avec les droits et libertés garantis par la Charte » (p. 493). Au terme de son étude, il en venait à la conclusion que « [l]’évolution du privilège parlementaire au Canada ne pourra[it] se faire de manière cohérente sans que les tribunaux s’efforcent de mieux saisir cette notion […] et son importance pour le parlementarisme […] » (p. 528).

Je partage généralement cette double critique (internaliste) d’incohérence et (externaliste) de mécompréhension des enjeux, à laquelle je veux ici ajouter. Au vu de l’impératif plus formel de cohérence, certaines ambiguïtés de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada relative au privilège parlementaire semblent avoir échappé à la critique doctrinale. Concernant l’exigence plus matérielle d’adéquation de l’interprétation de l’institution du privilège parlementaire avec sa fonction et son contexte actuel d’application et de reconstruction équilibrée et non contre-intuivement injuste de l’ensemble de notre droit constitutionnel, s’il est vrai qu’au Canada la critique du privilège parlementaire tend à se résumer à la sauvegarde des droits et libertés et la mobilisation d’une idée générale de l’État de droit, en revanche le constitutionnalisme global se veut aussi sensible aux menaces que pose une conception du privilège parlementaire inadaptée aux nombreuses transformations qu’ont connues l’État de droit moderne et le parlementarisme depuis l’époque où se jouaient des scènes telles que celle qui est représentée dans le célèbre tableau de John Singleton Copley. L’une de ces menaces est le détournement du privilège parlementaire par la majorité parlementaire afin d’opprimer la minorité.

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Projet de loi sur la neutralité religieuse de l’État: quelques observations sur le mémoire de la Commission des droits de la personne

À en croire un article du Devoir, la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec aurait, devant la Commission des institutions mardi dernier, « réduit en pièces » le projet de Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements religieux dans certains organismes, soit le projet de loi no 62 de la présente session de l’Assemblée nationale.

Dans ce mémoire, la Commission fait de nombreuses remarques avec lesquelles je suis en accord. Il s’agit par exemple de sa recommandation no 1 d’inscrire à la proposition de loi un renvoi à la « primauté » de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. La Commission relève aussi un certain nombre de dispositions du PL 62 faisant double emploi avec la Charte québécoise et sa jurisprudence ou susceptibles de générer l’ambiguïté. En revanche, la Commission semble soutenir trop faiblement certaines thèses, en droit positif notamment, mais pas exclusivement.

Mes critiques porteront sur les trois points suivants: (1) la thèse selon laquelle les deux premiers alinéas de l’article 9, relatif aux « services à visage découvert », seraient discriminatoires; (2) la thèse selon laquelle cette discrimination ne saurait être justifiée en vertu de l’article 9.1 de la Charte québécoise; (3) l’interprétation critique des dispositions interprétatives de l’article 13.

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Pour en finir avec les postes « syndicables non-syndiqués » dans le secteur de la santé

On assiste actuellement à un brassage important des cartes dans la représentation syndicale au sein du secteur de la santé au Québec. En effet, au cours des prochains mois il y aura de multiples votes partout dans la province par lesquels les travailleuses et travailleurs de ce secteur choisiront les syndicats qui les représenteront. Tout cela découle des fusions d’établissements occasionnées par l’entrée en vigueur de la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales (la «Loi 10»).

Un groupe de salariés risque de ne pas avoir voix au chapitre. Il s’agit de ceux qui occupent des postes désignés par les établissements comme «syndicables non-syndiqués». N’étant actuellement représentées par aucun syndicat, ces personnes ne recevront pas de bulletin de vote lors de la campagne en cours. Or, selon nous, de tels postes sont incompatibles avec le régime de représentation syndicale applicable dans le secteur de la santé. Les personnes occupant des postes «syndicables non-syndiqués» devraient donc pouvoir voter.

Mise à jour : Apparemment, tous les salariés recevront un bulletin de vote. Dans les établissements issus de fusions où un des établissements «préfusionnels» comprenait une catégorie de salariés non représentée par syndicat, l’option «aucun syndicat» sera offerte. Le problème se situe plutôt au niveau de salariés titulaires de postes qui ne sont supposément pas inclus dans l’une ou l’autre des catégories. Les fusions d’établissements fournissent l’occasion pour régulariser leur situation, mais il ne semble pas que cela va arriver.
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