Vous avez dit « histoire », « État canadien » et « doctrine de la découverte »? Partie 4 : de la fédération à la révision de 1982

En 1867, les « Indiens et les terres réservées aux Indiens » deviennent la matière d’une compétence exclusive du Parlement du Canada.

Même si la Loi sur les Indiens (1876) ne s’applique qu’aux Indiens, qui furent longtemps les seuls dont le pouvoir central se préoccupait, la Cour suprême du Canada devait reconnaître, dans un renvoi de 1939, que la compétence fédérale prévue au par. 91(24), L.C. 1867, s’étendait aux « Eskimos », c’est-à-dire aux Inuits[1]. Toutefois, la question de savoir si la compétence fédérale exclusive prévue à 91(24) s’étend aux Métis a longtemps attendu sa réponse. La position traditionnelle du gouvernement fédéral suggérait la négative. La Commission royale sur les peuples autochtones avait recommandé que lui soit plutôt donnée une réponse affirmative[2]. L’article 31 de la Loi de 1870 sur le Manitoba – loi qui fait partie de la « loi suprême » du Canada – reconnaît bien un « titre indien » aux Métis[3]. Dans l’arrêt Blais de 2003, la Cour suprême du Canada a cependant statué que les Métis n’étaient pas des « Indiens » au sens du par. 13 de la Convention sur le transfert des ressources naturelles relative au Manitoba, convention qui figure en annexe de la Loi constitutionnelle de 1930, mais elle a tenu à souligner que serait « tranchée à une autre occasion la question de savoir si le mot « Indiens » au par. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 s’entend également des Métis[4] ». Dans l’intervalle, en Alberta par exemple, le statut particulier des Métis fut – et est toujours – largement sinon principalement régi par une loi provinciale, la Metis Settlements Act[5]. Or, le 14 avril 2016, la Cour suprême du Canada a confirmé que les Métis et Indiens non inscrits (en vertu de la Loi sur les Indiens) sont autant d’« Indiens » au sens du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, mais cela sans fournir de méthode précise qui permette de déterminer si un ou des individus donnés ressortissent à cette compétence fédérale exclusive[6].

À compter du XIXe siècle « [d]eux idées concernant les Amérindiens dominent la pensée de l’administration civile impériale dans l’Amérique du Nord britannique […] : primo, leur peuple est en voie de disparition et, secundo, ceux qui restent devraient soit être relégués dans des collectivités à l’écart des Blancs, soit être assimilés[7] ». Forte du fruit de moult enquêtes et délibérations,

« la position officielle s’arrête sur ce qu’on perçoit être un devoir : « civiliser » les indigènes nomades en les forçant à s’établir comme agriculteurs […]. Bien que d’aucuns ne manquent pas de s’interroger sur le rapprochement entre l’agriculture et la civilisation, à toutes fins utiles, cela demeure un principe directeur en matière d’administration des Amérindiens tout au long du XIXe siècle […]. L’éducation, confiée aux missionnaires, permettra d’atteindre la ‘civilisation’[8]. »

Voilà comment, « dans la foulée des théories raciales et sociales de Darwin alors en vogue », les fonctionnaires fédéraux s’activent à appliquer « dans tout le Canada des mesures d’ingénierie sociale qui postulent la supériorité de la culture non autochtone, convaincus de servir ainsi la cause du progrès[9] ». Voilà aussi comment en 1876 le Parlement du Canada codifie et affermit le programme d’assimilation des Autochtones dans sa première Loi sur les Indiens[10]. Cette loi a été précédée de l’Acte pourvoyant à l’organisation du Département du Secrétaire d’État du Canada[11] et de l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages[12], lois qui elles-mêmes s’inscrivaient dans le prolongement de lois coloniales antérieures à la fédération et tirant largement leur source matérielle du rapport de la Commission Bagot. Selon Olive Dickason, le programme de 1876 prévoit déjà que son financement doit venir du réinvestissement des sommes provenant de la vente des terres acquises des Amérindiens, autrement dit que ces derniers paieront eux-mêmes leur marche vers la civilisation[13]. Relevons au passage qu’un des épisodes les plus sombres de la mise en œuvre de cette politique assimilationniste fut celui des pensionnats pour enfants autochtones[14].

La jurisprudence a cependant établi que la Loi constitutionnelle de 1867 ne fait pas que traiter les Autochtones comme des « objets » de droit; elle reconnaît implicitement leurs droits. Le paragraphe 92(5) attribue exclusivement aux provinces la compétence sur les terres qui sont la propriété publique de la province. Et c’est l’article 109 qui reconnaît aux provinces un tel droit de propriété. Or l’article en question précise que les terres, mines, minéraux et réserves royales publics provinciaux demeurent « soumis aux charges dont ils sont grevés, ainsi qu’à tous intérêts autres que ceux que peut y avoir la province ». Et le Conseil privé a confirmé que les droits des autochtones sur leurs terres tels que ceux que leur reconnaît la Proclamation royale de 1763 représentent de tels intérêts[15].

Dès 1870, comme cela est prévu non seulement à l’article 146, LC 1867, mais aussi par une loi impériale de 1868[16], un décret du gouvernement britannique transfère la Terre de Rupert et le Territoire du Nord-Ouest au Canada, plus exactement à son pouvoir central (au « Dominion »). L’année d’avant le décret, soit en 1869, une loi canadienne a préparé l’instauration d’un gouvernement provisoire devant entrer en fonction au moment de la cession[17]. Le décret prévoit le droit des Indiens d’être indemnisés, « par le gouvernement canadien de concert avec le gouvernement impérial », pour la réquisition de leurs terres aux fins de la colonisation, « et la Compagnie sera libérée de toute obligation à cet égard[18] ». L’article 146 prévoyait que le décret serait pris sur présentation d’« adresses de la part des chambres du Parlement du Canada ». Le décret contient ces « adresses », soit des résolutions, en annexe A et B. L’annexe A prévoit que « lors du transfert des territoires en question au gouvernement du Canada, il sera procédé, selon les principes d’équité qui ont toujours guidé la couronne britannique dans ses rapports avec les autochtones, à l’examen et au règlement des demandes d’indemnisation présentées par les tribus indiennes au sujet des terres nécessaires à la colonisation[19] ». Son annexe B prévoit en outre qu’il « incombera [au Canada] de prendre les mesures voulues pour la protection des tribus indiennes concernées quant à leurs intérêts et leur bien être[20] ». En 1895, dans l’affaire Ontario c. Canada, la Cour suprême du Canada a interprété ces dispositions du décret impérial de 1870 comme étant, à l’instar de la Proclamation royale de 1763, porteuses d’une obligation incombant à la Couronne d’obtenir la cession volontaire des droits des Autochtones sur leurs terres avant de se les approprier, de les utiliser ou d’y concéder des droits[21]. En 1909, la Cour suprême du Canada a, au passage, laissé entendre que ces dispositions étaient porteuses d’une obligation incombant à la Couronne d’obtenir par traité la cession volontaire du titre aborigène qui les grève avant d’ouvrir des terres à la colonisation[22]. Dans le même sens, la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest a, en 1973, suggéré que ces dispositions représentaient une reconnaissance constitutionnelle du titre aborigène ou des droits ancestraux des peuples autochtones concernés, si bien que le droit de ceux-ci d’être indemnisés ne pouvait être aboli que par une loi impériale[23]. En revanche, dans l’affaire Baker Lake de 1980, la Cour fédérale a statué que les dispositions qui nous occupent ne reconnaissent pas de droits en faveur des Autochtones davantage qu’elles n’en éteignent, ces dispositions étant sans effets sur le titre aborigène[24]. En 2019, la Cour d’appel du Yukon a rendu jugement définitif – la Cour suprême du Canada ayant refusé d’entendre l’affaire – sur le fond dans l’affaire Ross River Dena Council. Elle y a jugé que « the Transfer Provision did not impose a temporal requirement on Canada to obtain surrender before permitting activity on the lands at issue. Rather, the Transfer Provision transferred the duty to “consider and settle” the claims of the “Indian tribes to compensation for lands required for purposes of settlement” from the Imperial government to the government of Canada »[25]. Par conséquent, le décret impérial de 1870 ne rendrait pas inconstitutionnel l’octroi, sans cession préalable de la manière prévue à la Proclamation royale de 1763, de droits par l’État (fédéral, territorial ou provincial, suivant le cas) à des tiers sur des terres occupées par des Autochtones dans l’ancien territoire de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest, mais l’État fédéral demeurerait assujetti à l’obligation de négocier de bonne foi l’indemnisation des Autochtones dont les droits ont été ainsi restreints (voire éteints, si c’était avant 1982). Il faut aussi savoir que l’annexe A contient l’engagement du gouvernement et du parlement du Canada de respecter les « legal rights of any corporation, company or individual », une expression que les diverses traductions françaises, dont aucune n’a force de loi, ont rendue différemment. Dans l’affaire Caron c. Albertade 2015, la Cour suprême a statué, à la majorité, que cette disposition ne garantissait pas de droits linguistiques[26]. Or, il avait été accessoirement plaidé par une intervenante, l’Association canadienne‑française de l’Alberta, que l’État avait une obligation de fiduciaire à l’endroit des Métis en matière linguistique. Seule la majorité de la formation qui a entendu l’affaire s’est prononcée sur cette thèse, pour dire qu’on en n’avait pas fait la preuve du bien-fondé[27]

De manière similaire, le décret impérial de 1871 portant adhésion de la Colombie-Britannique à la fédération, décret lui aussi pris en vertu de l’art. 146, L.C. 1867, prévoyait que :

« Le gouvernement du dominion prend en charge les affaires indiennes ainsi que la gestion en fiducie des terres réservées à l’usage et au bénéfice des Indiens, en menant à cet égard après l’union une politique aussi libérale que l’a été jusqu’alors celle du gouvernement de la Colombie-Britannique[28]. »

Ainsi, par décret en date du 23 janvier 1875, le gouverneur général en conseil, dans l’exercice du pouvoir de désaveu des lois provinciales que lui attribuait le jeu des articles 56 et 90, LC 1867, désavouait une loi intitulée An Act to Amend and Consolidate the Laws Affecting Crown Lands in British Columbia, et ce, au motif que cette loi ne respectait pas suffisamment les droits que pouvaient détenir les Autochtones sur ces terres. En revanche, avant la révision constitutionnelle de 1982, la Cour suprême du Canada a, dans l’affaire Jack, eu l’occasion de se pencher sur cette disposition du décret impérial de 1871 relatif à la Colombie-Britannique. Dans des motifs majoritaires, le juge en chef Laskin a alors écrit que :

« [R]ien dans l’art. 13 n’a l’effet de restreindre le pouvoir législatif fédéral en matière de pêcheries. Peu import[e] la ligne de conduite qui était suivie en Colombie-Britannique avant la Confédération et qui permettait aux Indiens de pêcher pour se nourrir dans les rivières ou dans d’autres eaux de l’île Vancouver comme de la Colombie-Britannique avant que l’île en fasse partie et par la suite, cette ligne de conduite ne semble assise sur aucun fondement juridique. En outre, l’art. 13 ne contient aucune reconnaissance juridique de droits de pêche des Indiens[29]. »

Dans des motifs concordants, le juge Dickson exprimait plutôt à cet égard l’avis selon lequel, par l’expression «une ligne de conduite aussi libérale», on avait entendu « accorder la première priorité à la pêche par les Indiens à des fins d’alimentation et une certaine priorité à une pêche commerciale restreinte, partagée entre la pêche commerciale et sportive ». Le juge Dickson était cependant d’avis que « il est clair que les mesures destinées à la protection des ressources—totalement absentes des textes réglementaires avant 1871—priment sur tout genre de pêche, qu’il s’agisse de la pêche par les Indiens, de pêche commerciale ou sportive[30] ».

De 1869 à 1870, les Métis de la Rivière rouge se soulèvent. Le « gouvernement provisoire » de Louis Riel négocie la création de la province du Manitoba. L’article 31 de la Loi de 1870 sur le Manitoba – loi fédérale qui fait partie de la « loi suprême » du Canada aux termes de l’al. 52(2)b) de la Loi constitutionnelle de 1982 – reconnaît l’existence d’un « titre indien » dans la nouvelle province, notamment en faveur des Métis, en ce qu’il prévoit que :

« Attendu qu’il importe, pour l’extinction du titre indien sur les terres de la province, d’affecter une fraction des terres non concédées, dans la limite de un million quatre cent mille acres, au profit des familles métisses qui y résident, il incombe au lieutenant-gouverneur, en application des règlements pris en tant que de besoin par le gouverneur général en conseil, de procéder au partage, entre les enfants des chefs des familles métisses qui résident dans la province lors du transfert, de terrains dont le choix, dans la limite mentionnée ci-dessus, et la localisation relèvent de son appréciation, et de les leur concéder selon les modalités et aux conditions d’établissement ou autres fixées par le gouverneur général en conseil[31]. »

La Loi constitutionnelle de 1871, une loi impériale, est venue, par son article 4, confirmer la compétence fédérale sur toute matière dans les territoires qui lui appartiennent et qui se situent au-delà des frontières de toute province. Son article 2 confirme en outre la compétence fédérale de créer des provinces à même de tels territoires, ce qui avait été fait pour la première fois l’année précédente, aux termes de la loi fédérale de 1870 sur le Manitoba. Toutefois, la constitution de la province ainsi créée ne pouvait (ni ne peut davantage aujourd’hui) être modifiée par le parlement fédéral. Il y a une ambiguïté dans le libellé de l’article 6, mais on peut penser que la procédure bilatérale qui était prévue à l’article 3 pour la modification de toute frontière provinciale était rendue applicable à la modification de la constitution des provinces ainsi créées par loi fédérale. Cela voudrait dire que, à l’exception du droit, prévu à l’article 6 de la LC 1871, de la législature du Manitoba « de modifier les lois régissant le droit de vote et les conditions d’éligibilité et d’exercice du mandat de député à l’assemblée législative, ainsi que celui de légiférer en matière électorale dans la province » – droit étendu dans une moindre mesure à l’Alberta et à la Saskatchewan par leur loi fédérale constitutive par la suite – les provinces des Prairies n’auraient, avant l’entrée en vigueur de la LC 1982, jamais eu la même compétence que les autres provinces de modifier leur propre « constitution », en vertu de l’ancien par. 92(1) LC 1867. Cette question ne semble pas résolue par la jurisprudence, ainsi que l’atteste l’extrait suivant de l’arrêt Forest de 1979 :

« Il y a cependant l’art. 6 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1871 qui […] nie au Parlement fédéral tout pouvoir de modification et le seul qu’il accorde à la législature du Manitoba est celui ‘de changer de temps à autre les dispositions d’aucune loi concernant la qualification des électeurs et des députés à l’Assemblée Législative, et de décréter des lois relatives aux élections dans ladite province’. [¶] Il n’est pas nécessaire de rechercher en l’espèce si cette disposition législative emporte restriction du pouvoir de modification qui découle du par. 92(1) [de la LC 1867] par application de l’art. 2 de l’Acte du Manitoba [qui rendait cette disposition de la LC 1867 applicable à la nouvelle province] [32]. »

En tout état de cause, le 8 mars 2013, la Cour suprême du Canada a statué à la majorité que la Manitoba Metis Federation et les autres appelants dans cette affaire avaient droit à un jugement déclaratoire du fait que « [l]a Couronne fédérale n’a pas mis en œuvre de façon honorable la disposition prévoyant la concession de terres énoncée à l’art. 31 de la Loi de 1870 sur le Manitoba[33] », dont voici le libellé :

« Attendu qu’il importe, pour l’extinction du titre indien sur les terres de la province, d’affecter une fraction des terres non concédées, dans la limite de un million quatre cent mille acres, au profit des familles métisses qui y résident, il incombe au lieutenant-gouverneur, en application des règlements pris en tant que de besoin par le gouverneur général en conseil, de procéder au partage, entre les enfants des chefs des familles métisses qui résident dans la province lors du transfert, de terrains dont le choix, dans la limite mentionnée ci-dessus, et la localisation relèvent de son appréciation, et de les leur concéder selon les modalités et aux conditions d’établissement ou autres fixées par le gouverneur général en conseil. « 

C’était notamment « la question de savoir ce qui avait été convenu dans le Traité Selkirk et [celle de savoir] qui possédait les terres [qui] s’est posée vers la fin des années 1860, lorsque le transfert envisagé de la Terre de Rupert au Dominion a été rendu public. Il s’en est suivi [sic] de longues discussions sur la nécessité d’établir de nouvelles ententes relatives à ces terres et puis la négociation du Traité 1 et du Traité 2[34]. » De 1871 à 1921, en effet, sont conclus les 11 traités numérotés du Nord-Ouest ontarien, des Prairies et d’une partie des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon. Le Traité no 1 a été conclu avec les Chippaouais et les Cris du Manitoba et des territoires contigus le 3 août 1871. Le Traité no 11 a quant à lui été conclu avec les Amérindiens et les Métis de l’ancien district de MacKenzie du 27 juin 1921 au 17 juillet 1922. Il s’agit de traités de cession inspirés des traités Robinson-Huron et Robinson-Supérieur, mais avec ceci de particulier qu’ils procèdent d’une entreprise systématique de dégrèvement du territoire, ces traités s’emboîtant les uns dans les autres dans leur portée territoriale respective à la manière des pièces d’un puzzle pour former un système étanche. Outre des droits de chasse et de pêche sur les terres de la Couronne non encore cédées, une somme forfaitaire, des annuités et une réserve, la partie autochtone (composée encore ici de nombreuses nations) obtient, en contrepartie, de l’équipement agricole, du bétail, des munitions, des médailles, des drapeaux et des vêtements. Ainsi que le reconnaît aujourd’hui le ministre fédéral des Affaires autochtones, « [l]a réduction substantielle de leurs territoires de chasse et de pêche ancestraux » a rendu les Autochtones « très dépendants des sources de subsistance non traditionnelles et du soutien du gouvernement fédéral[35] ».

Il y eut en fait deux générations de traités numérotés. Entre 1871 et 1877, les traités nos 1 à 7 ont pour objectif d’ouvrir les Prairies à la colonisation ainsi qu’au passage du chemin de fer. Quelque 22 ans plus tard, de 1899 à 1921, les traités nos 8 à 11 doivent donner accès aux ressources naturelles du Nord. Dans l’intervalle, en 1885, les Métis se soulèvent à nouveau, cette fois dans le territoire de la Saskatchewan (qui ne formera une province qu’en 1905). Cette « Rébellion du Nord-Ouest » ou « Rébellion de la Saskatchewan » est écrasée. Louis Riel sera jugé, puis pendu, pour trahison[36].

En 1878, l’article 146 de la Loi constitutionnelle de 1867 est tenu par les politiques pour s’appliquer au transfert de l’Archipel arctique, puisque que la Chambre des communes et le Sénat font parvenir chacun une « adresse » à cet effet à Sa Majesté, et qu’en 1880 un décret impérial est pris en conséquence[37]. Celui-ci porte plus largement transfert de toutes les îles adjacentes, à l’exception de Terre-Neuve.

En vertu de l’article 30 de la Loi de 1870 sur le Manitoba comme en vertu des dispositions équivalentes des lois ultérieures portant création des provinces de l’Alberta[38] et de la Saskatchewan[39] – lois qui relèvent elles aussi de la loi suprême –, la propriété des terres et ressources naturelles publiques avait été réservée à la Couronne fédérale. Plus tard, la Loi constitutionnelle de 1930[40] – une loi impériale qui est toujours en vigueur – venait donner valeur juridique aux conventions de transfert de la propriété publique – à l’exception du titre sous-jacent des réserves indiennes – et des ressources naturelles conclues entre le gouvernement fédéral et ces trois provinces. Une des conditions du transfert à se rapporter aux Autochtones était le respect du droit des « Indiens » de « se livrer en toute saison à la chasse, au piégeage et à la pêche, pour se nourrir, sur toutes les terres inoccupées du domaine public et sur les autres terres auxquelles ils ont un droit d’accès par ailleurs reconnus par les traités numérotés, de chasse, de trappe et de pêche des Autochtones sur les terres de la Couronne[41] ». Cette loi constitutionnelle reconnaît donc aux Indiens signataires des traités numérotés des provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta un droit non commercial de chasse, de trappe et de pêche sur les terres inoccupées de la Couronne et sur les autres terres dont l’usage n’est pas incompatible. Dans l’arrêt Blais de 2003, la Cour suprême du Canada a statué que les Métis n’étaient pas des « Indiens » au sens du par. 13 de la Convention sur le transfert des ressources naturelles relative au Manitoba[42]. D’autre part, dans une décision de 1990, l’arrêt Horseman[43], la Cour avait laissé entendre que ces dispositions de 1930 relatives aux droits des Autochtones dans les provinces des Prairies s’étaient substituées aux droits issus de traités dans ces trois provinces. Ainsi que le relève Sébastien Grammond[44], cela fut cependant sévèrement critiqué par la doctrine relative aux conditions auxquelles le juge peut interpréter une loi (antérieure à 1982) comme portant unilatéralement extinction de droits ancestraux ou issus de traités. Dans une décision de 1996, l’arrêt Badger, la Cour a précisé que cette extinction se limitait à la portée commerciale des droits issus de traités en cause, le « droit de chasser pour se nourrir » se continuant[45]. En 1999, dans l’affaire Sundown, la Cour parlera du rapport de la Loi constitutionnelle de 1930 aux droits issus de traités numérotés comme d’un rapport de modification par extinction partielle[46]. Ces arrêts ne traitent cependant que des droits de chasse que les traités numérotés reconnaissent aux Autochtones sur les terres publiques, et non des droits que ces traités leur reconnaissent relativement aux terres devant leur être réservées, droits dont il est improbable que la LC 1930 les ait éteints. L’adoption d’une loi impériale pour donner leurs effets juridiques aux ententes de 1930 s’explique sans doute par le fait qu’il ne s’agissait, ni de la modification des frontières d’une ou de plusieurs provinces – ce qui aurait pu être fait aux termes de l’art. 3 LC 1871 –, ni (puisque la LC 1930 donnait aussi force de loi à une entente conclue avec la Colombie-Britannique) de la seule modification d’une ou plusieurs lois fédérales constitutives de provinces – ce qui aurait pu être fait aux termes de l’art. 6 LC 1871 –, ni de simples opérations de pur droit privé – ce qui aurait pu être fait en vertu du droit commun.

En 1923, après un siècle de doléances ainsi qu’une commission d’enquête, deux traités de cession furent aussi conclus avec des Ojibwas de l’Ontario central, soit les traités dit « de Williams ». Ceux-ci avaient pour prétention de régler toute revendication territoriale autochtone en Ontario. Mais à ce jour les Algonquins du Nord-Est de la province y revendiquent toujours des droits.

Comme l’a reconnu la Cour suprême, tous les traités « anciens » ont été conclus verbalement, ce qui fait surgir un doute sur la fiabilité du texte anglais qui les a consignés après le fait[47]. D’où l’importance de la preuve par tradition orale et l’interprétation favorable à la partie autochtone en cas de doute[48]. En réalité, une forte preuve historique suggère que les autochtones n’ont jamais consenti à la cession de leurs droits. Ils concevaient ces traités comme ceux de la génération précédente, et comprenaient probablement qu’on leur demandait que des colons puissent s’installer ou des entreprises exploiter leurs terres[49]. Or cela n’a pas empêché la Cour suprême de statuer qu’une adhésion au traité Robinson-Huron devait emporter renonciation extinctive des droits ancestraux[50].

D’autre part, la Loi constitutionnelle de 1871, par son article 3, conférait aussi au Parlement fédéral le pouvoir de modifier les frontières des provinces avec le consentement de la législature de celles-ci. C’est ainsi qu’en 1898 d’abord et pour le territoire cri[51], puis en 1912 pour le territoire inuit, les législateurs fédéral et québécois ont augmenté le territoire du Québec à même des parties de la Terre de Rupert. Concernant l’extension des frontières du Québec, la loi fédérale de 1912 prévoyait, à son article 2, que « la province de Québec reconnaîtra les droits des habitants sauvages dans le territoire [cédé] dans la même mesure, et obtiendra la remise de ces droits de la même manière, que le Gouvernement du Canada a ci-devant reconnu ces droits et obtenu leur remise, et ladite province supportera et acquittera toutes les charges et dépenses se rattachant à ces remises ou en résultant »[52]. La loi faisait ainsi allusion à une pratique fédérale antérieure soi-disant conforme aux dispositions du décret impérial de 1870. Cette même loi de fédérale de 1912 confirmait par ailleurs la compétence fédérale sur la « tutelle » et les terres des « sauvages » de ce territoire. Il convient de relever le paradoxe qui voyait les autorités fédérales, d’une part nier leur compétence sur les Inuits, de l’autre faire adopter une loi la confirmant. Dans l’arrêt Sparrow de 1990, la Cour suprême du Canada a parlé rétrospectivement des dispositions de 1912 relatives aux autochtones (ici les Inuits) du Québec comme d’une « protection constitutionnelle »[53]. Si je dis « rétrospectivement », c’est parce que la loi fédérale de 1975 portant mise en œuvre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois (dont il sera question plus tard) prétend, à la faveur du consentement de la législature du Québec, avoir modifié l’article 2 de la loi de 1912 de manière à en retrancher les dispositions relatives aux droits des autochtones. 

En 1926, du moins à en croire (rétrospectivement) l’arrêt que rendra la Cour d’appel d’Angleterre le 28 janvier 1982 dans l’affaire des Indian Association of Alberta, Union of New Brunswick Indians et Union of Nova Scotian Indians, avec l’accession du Canada au statut d’État souverain au sens du droit international et la « divisibilité » de la Couronne qui s’ensuit[54], les obligations et la responsabilité de la Couronne à l’endroit des peuples autochtones qui s’y trouvent deviennent celles de la « Crown in respect of Canada », non pas de la « Crown in respect of the United Kingdom »[55].

En 1951, la Loi sur les Indiens – qui ne s’applique qu’à certains Amérindiens, à l’exclusion aussi des Métis et Inuits – connaît sa première grande révision en 70 ans. Est alors adopté son fameux article 88 – à l’origine l’article 87, jusqu’à la refonte de 1970 –, et qui a été matériellement modifié en 2005 et 2012. Cette disposition intègre à la loi fédérale (qui est en principe prépondérante), non seulement les traités conclus avec des « Indiens » au sens de cette loi, mais aussi, à l’égard des « Indiens » seulement, les lois provinciales valides d’application générale, « [s]ous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi fédérale » (qui l’emportent en cas de conflit), et « sauf dans la mesure où ces lois [provinciales] sont incompatibles avec la présente loi [sur les Indiens] ou la Loi sur la gestion financière des premières nations ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou texte législatif d’une bande pris sous leur régime, et sauf [encore] dans la mesure où ces lois provinciales contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou la Loi sur la gestion financière des premières nations ou sous leur régime ». Entre autres, la prépondérance de principe de la loi fédérale est ainsi étendue à certains traités, mais d’un autre côté le Parlement fédéral renonce partiellement à la protection jurisprudentielle du cœur de sa compétence sur les Autochtones. Les débats parlementaires et ministériels qui ont présidé à cette refonte se seraient à peine portés sur cette importante disposition, laquelle « was, at minimum, intented to perpepuate the statutory rights that the Indians already had to sue in tort, in contract, and for debts that came due » et, « almost certainly, to adress and acknowledge the widespread sense that provincial measures should not constrict the exercise of Indians’ legitimate treaty rights »[56]. Mais il y a plus. « The other clearly relevant theme […] was the growing conviction […] that the provinces had a role to play in achieving the recognized long-term goal of assimilation – or, in later idiom, ‘intergration’ – of the Indian peoples into mainstream society »[57].

En 1969, le gouvernement fédéral avait publié l’énoncé d’une nouvelle politique à l’endroit des Autochtones. Il s’agit du malheureux « Livre blanc »[58]. Aux termes de la politique annoncée, les revendications de droits ancestraux seraient dépourvues de fondement juridique[59], et toute particularité de nature permanente dans le rapport qu’entretient le droit avec les Autochtones constituerait de la discrimination raciale ou ethnique dont l’édification d’une société canadienne juste devrait passer par l’éradication[60]. L’abrogation de la Loi sur les Indiens et, au delà, la renonciation par le parlement fédéral à exercer sa compétence sur les « Indiens et les terres réservées pour les Indiens » sont prévues. Il est cependant notoire que, étouffé sous le déferlement des critiques, le projet consigné dans le Livre blanc a fait long feu. C’est que, dans l’intervalle, les droits universels de la personne avaient aussi vu s’organiser autour d’eux les Autochtones du pays, notamment au sein de l’Assemblée des Premières Nations[61], même si une première tentative de groupement national avait eu lieu encore plus tôt, durant l’entre-deux-guerres, avec la Ligue des Indiens du Canada. Or, même s’ils mobilisent régulièrement les droits de la personne sur la scène internationale, les Autochtones du Canada, craignant sans doute une interprétation formaliste du droit à l’égalité en droit interne, inscrivent alors paradoxalement, notamment lors des débats sur la révision constitutionnelle, les droits constitutionnels spéciaux qu’ils revendiquent dans une logique d’opposition avec les droits et libertés de la personne[62]. Une certaine confusion intellectuelle règne donc au Canada au sujet des droits des peuples autochtones lorsqu’en 1967 les Nisga’a de la Colombie-Britannique s’adressent aux tribunaux pour que soit reconnu leur titre aborigène et qu’au début de la décennie 1970 des mandataires du gouvernement du Québec entreprennent d’exploiter le potentiel hydroélectrique de la Baie-James. Le Canada a achevé son industrialisation et est un État souverain depuis 1926. Les droits ancestraux et issus de traité des peuples autochtones n’ont pas encore été constitutionnalisés généralement. Ces peuples tiennent parfois un double discours sur le rapport de leurs droits spéciaux aux droits fondamentaux de la personne. Dans l’esprit de la vaste majorité des officiels, toute différenciation juridique relative aux Autochtones appartient à une autre époque et doit désormais forcément se révéler discriminatoire. C’est non seulement la Loi sur les Indiens qui paraît dater, mais aussi, à plus forte raison, les dispositions relatives aux Autochtones de lois telles que celles de la Loi constitutionnelle de 1930, celles de 1912 relatives à l’extension des frontières du Québec, celles des décrets impériaux de 1870 et 1871 et celles de la Proclamation royale de 1763.

En 1973, la Cour suprême du Canada rend jugement dans l’affaire Calder. Même si les Nisga’a perdent leur cause, la décision établit l’existence, en droit canadien, d’un titre aborigène indépendamment de tout texte de loi, dont la Proclamation de 1763. Les Nisga’a de la Colombie-Britannique, qui en 2000 règleront leur revendication de droits ancestraux par la conclusion d’un « traité moderne », se sont adressés à la cour supérieure de la Colombie-Britannique pour que celle-ci déclare que leur titre aborigène ou indien « n’a jamais été juridiquement éteint ». Ils ont perdu devant cette instance, puis devant la cour d’appel. Ils perdent aussi devant la Cour suprême du Canada, où les six voix sur le fond sont départagées par les motifs du juge Pigeon, qui se limite à la conclusion selon laquelle la procédure déclaratoire en cause était assujettie à la Crown Procedure Act de la province, en vertu de laquelle elle eût dû être autorisée par lieutenant gouverneur en conseil. Les Nisga’a alléguaient principalement que leur titre aborigène découlait de la reconnaissance, bien établie généralement en droit anglais, de leur antériorité d’occupation du territoire, et non d’un traité, d’une ordonnance du pouvoir exécutif ou d’une disposition législative particuliers. Ce n’est que subsidiairement qu’ils soutenaient que leur titre découlait à la rigueur de la Proclamation royale de 1763, des lois impériales qui reconnaissaient que ce qui est devenu la Colombie-Britannique était un « territoire indien » ainsi que des instructions données au gouverneur. Enfin, les Nisga’a plaidaient que leur titre aborigène n’avait jamais été éteint. Trois juges de la formation de la Cour suprême, soit les juges Hall, Spence et Laskin, en viennent à la conclusion que les Nisga’a détiennent, en vertu à la fois de la Proclamation royale et de la common law, un titre aborigène qui n’a jamais été éteint, et que leur demande de jugement déclaratoire n’était pas assujettie aux exigences de la Crown Procedure Act. Trois autres, soit les juges Judson, Martland et Ritchie, sont d’avis que les Nisga’a n’avaient détenu de titre aborigène qu’en vertu de la common law, non pas de la Proclamation royale qui n’avait trouvé aucune application en Colombie-Britannique, mais que ce titre a depuis été éteint, de sorte qu’il est inutile de se prononcer sur la question de l’application de la Crown Procedure Act à la demande de déclaration en cause. Ce principe de reconnaissance indépendante de la Proclamation royale a été confirmé concernant les droits ancestraux dans l’affaire Côté de 1996[63].

À peu près au même moment que celui où est rendu l’arrêt Calder, les Cris et les Inuits du Québec obtiennent de la cour supérieure une injonction interlocutoire suspendant les travaux de construction, par Hydro-Québec, du complexe hydroélectrique La Grande, à la Baie-James[64]. Dans un jugement difficile à défendre juridiquement, la Cour d’appel casse l’injonction interlocutoire, ce qui veut dire que les travaux pourront donc se poursuivre pendant le procès sur le fond[65]. La Cour suprême accepte d’entendre l’appel sur la question interlocutoire[66], mais l’appelante se désiste après que les parties se soient entendues sur le règlement complet du litige. C’est donc en tant que transaction que naîtra le premier traité d’une troisième génération, le premier traité dit « moderne », soit la Convention de la Baie-James et Nord québécois, conclue avec les Cris et les Inuits en 1975. Celle-ci sera complétée en 1978 par la Convention sur le Nord-Est québécois, qu’ont signée les Naskapis de Schefferville, puis par plusieurs conventions complémentaires. Ces traités sont aussi appelés accords de règlement de revendications territoriales « globales ». Ils font des centaines de pages et prévoient, outre une indemnité, une gradation complexe de droits en fonction de catégories différentes de terres. En principe, ils sont aussi, suivant une logique de substitution, extinctifs des droits ancestraux, ce à quoi s’opposent les Autochtones et qui explique la lenteur du processus national de négociation de tels traités[67]. Dans le cas particulier de la Convention de 1975, il s’agissait, pour le Québec, de dégrever ce territoire de droits qui convoquaient la compétence fédérale[68]. Procédé qui ne sera pas repris dans d’autres traités modernes cependant, la Convention de la Baie James et du Nord québécois ainsi que sa loi fédérale de mise en œuvre ne se contentent pas d’éteindre les droits des groupes autochtones signataires, mais éteignent « tous les revendications, droits, titres et intérêts autochtones, quels qu’ils soient, aux terres et dans les terres du Territoire [couvert par la Convention], de tous les Indiens et de tous les Inuit, où qu’ils soient […] »[69]. Il est à se demander si cette extinction unilatérale des droits de groupes non-signataires de la Convention de 1975 était et demeure admise par le décret impérial de 1870[70]. Comme je l’ai eu l’occasion de l’indiquer, la loi fédérale de 1975 portant mise en œuvre de la Convention de la Baie James et du Nord québécois prétend aussi, à la faveur du consentement de la législature du Québec, avoir modifié l’article 2 de la loi (fédérale) de 1912 relative à l’extension des frontières du Québec de manière à en retrancher les dispositions relatives aux droits des autochtones[71]. Il est permis de douter de la validité du procédé. En 1975, effectivement, on ne modifiait pas les frontières du Québec, de sorte que l’article 3 LC 1871 ne pouvait peut-être pas s’appliquer à cette double législation (fédérale et provinciale) de manière à lui faire modifier qui avait été supra-législativement créé en 1912, comme le suggère d’ailleurs la Cour suprême du Canada[72]. Si tel était le cas, alors il serait net qu’à elle seule la loi fédérale ne pourrait davantage se fonder sur le par 91(24) LC 1867 pour apporter cette modification à la loi de 1912 – le tout sans oublier le décret impérial de 1870, bien entendu.

Si au moment où les colonies britanniques d’Amérique du Nord se sont fédérées 123 traités et cessions territoriales y avaient été conclus, « leur nombre approchera les 500 […] quand sera ratifiée la Convention de la Baie James[73] ». Celle-ci inaugure toutefois un nouveau genre. Depuis la CBNQ, ce sont 27 autres accords du genre qui ont été conclus à travers le pays. Ensuite, et pour prendre l’exemple le plus fort, si à ce jour seulement trois revendications globales ont fait l’objet d’un accord de règlement définitif en Colombie-Britannique, c’est en revanche une cinquantaine d’autres revendications qui y est négociée sous les auspices de la Commission des traités de cette province.

À la veille de la réforme constitutionnelle de 1982, les Autochtones signataires de la CBNQ et de la CNEQ (Cris, Inuits, Naskapis) sont dans une catégorie à part. Les autres Autochtones qui, étant des « Indiens », vivent dans une communauté reconnue à ce titre par le droit le font dans une « réserve » aux termes de la Loi sur les Indiens. Cette réserve peut ou non avoir été établie aux termes d’un traité, et elle peut ou non se trouver sur des terres objet d’un titre aborigène ou issu de la Proclamation royale de 1763. Dans une réserve, les terres sont en principe détenues collectivement par une bande sous la tutelle du ministre.

Ainsi que le relate Paul McHugh, de la fin du XIXà celle du XXsiècles :

« The Crown recognized the land rights of tribes and negotiated for their cession but these practises were undertaken as a matter of executive grace rather than from any legal imperative compelling this treaty-making. These relations engaged Crown beneficence and guardianship but they were never regarded as justiciable or enforceable by legal process – a possibility that the state of legal art could not admit (until the late-twentieth century)[74].« 

Sur le plan historique déjà, hier comme aujourd’hui le droit, d’une part, et, de l’autre, son degré d’effectivité et la perception que peut en avoir une ou une autre catégorie d’acteurs sont deux choses différentes; il peut y avoir plusieurs histoires du droit. Mais encore faut-il savoir faire la part entre une thèse historique et une thèse juridique. L’« originalisme », ou du moins cette version de l’originalisme qui réduit la norme juridique à l’intention précise des rédacteurs des textes qui la portent, demeure une méthode controversée et en théorie récusée par nos tribunaux. Voilà comment les conclusions qu’avait tirées la cour supérieure (la « Cour suprême ») du Yukon à partir du rapport d’expert que je viens de citer ont pu être invalidées par la cour d’appel de ce même Territoire[75].Au-delà de la question des droits territoriaux, il faut savoir que c’est au début du régime de la « Confédération » qu’est consolidée l’approche assimilationniste des autorités publiques à l’endroit des Autochtones. C’est d’ailleurs en 1876 qu’est adoptée la Loi sur les Indiens, qui tient d’une volonté d’uniformiser et de systématiser le volet juridique de cette politique. Auparavant, c’est une pluralité de lois diverses qui s’appliquaient à différentes Premières nations


[1] Re Eskimos, [1939] R.C.S. 104.

[2] Canada, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Ottawa, La Commission, vol. 5.

[3] Loi de 1870 sur le Manitoba, 33 Vict., c. 3 (Canada), art. 31. Voir aussi Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14.

[4] R. c. Blais, [2003] 2 R.C.S. 236, par. 36.

[5] Metis Settlements Act, R.S.A. 2000, c. M-14.

[6] Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12.

[7] O.P. Dickason, supra note 136, p. 222.

[8] Ibid.

[9] Canada, Commission royale sur les peuples autochtones, supra note 134, p. 34-35. La Commission se réfère notamment à J.R. Miller, supra note 134, p. 96-98.

[10] Loi sur les Indiens, S.C. 1876, c. 18.

[11] Acte pourvoyant à l’organisation du Département du Secrétaire d’État du Canada, ainsi qu’à l’administration des Terres des Sauvages et de l’Ordonnance, S.C. 1868, c. 42.

[12] Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle des Sauvages, à la meilleure administration des affaires des Sauvages, et à l’extension des dispositions de l’acte trente-et-un Victoria, chapitre quarante-deux, S.C. 1869, c. 6. Au sujet de ces textes et des lois coloniales qui les ont précédés, voir notamment D. Johnston, « First Nations and Canadian Citizenship », dans W. Kaplan (dir.), Belonging: The Meaning and Future of Canadian Citizenship, Montréal, McGill‑Queen’s University Press, 1993, p. 353 ; J.L. Tobias, « Protection, Assimilation, Civilization: an Outline History of Canada’s Indian Policy », dans J.R. Miller (dir.), Sweet Promises: A Reader on Indian-White Relations in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1991, p. 127 ; J.S. Milloy, « The Early Indian Acts: Developmental Strategy and Constitutional Change », dans id., p. 145 ; J.R. Miller, supra note 134, en particulier p. 83‑115.

[13] O.P. Dickason, supra note 136, p. 222.

[14] Voir à ce sujet la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, accessible depuis le site internet de la « Commission vérité et réconciliation du Canada », commission établie aux termes de cette convention, qui est en fait une transaction : http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/index.php?p=15

[15] St. Catherine’s Milling and Lumber Co. v. The Queensupra note 77. 

[16] An Act for Enabling Her Majesty to Accept a Surrender upon Terms of the Lands, Privileges, and Rights of « The Governor and Company of Adventurers of England Trading into Hudson’s Bay », and for Admitting the Same into the Dominion of Canada, 1868, 31-32 Vict. c. 105 (R.-U.).

[17] Acte concernant le gouvernement provisoire de la Terre de Rupert et du Territoire du Nord-Ouest après que ces territoires auront été unis au Canada, S.C. 1869, c. 3; LRC (1985), app. II, no 7.

[18] Order of Her Majesty in Council admitting Rupert’s Land and the North-Western Territory into the union, dated the 23rd day of June, 1870.

[19] Id., annexe A, trad. ministère de la Justice du Canada.

[20] Id., annexe B, trad. ministère de la Justice du Canada.

[21] Province of Ontario v. Dominion of Canada (1895), 25 S.C.R. 434.

[22] Province of Ontario v. Dominion of Canada, (1909) 43 S.C.R. 1.

[23] Paulette v. Canada (Registrar of Titles) (No. 2), [1973] NWTJ No. 22 (QL), par. 70. C’est sur une autre question que ce jugement fut renversé par la Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest, dont le jugement fut confirmé par la Cour suprême du Canada : Paulette v. Canada (Registrar of Land Titles), [1975] NWTJ No. 13 (QL) ; Paulette et al. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 628.

[24] Baker Lake c. Canada, [1980] 1 C.F. 518, par. 102-103.

[25] Ross River Dena Council v. Canada, 2019 YKCA 3 (CanLII), par. 100.

[26] Caron c. Alberta, [2015] 3 RCS 511.

[27] Caron c. Alberta, [2015] 3 RCS 511, par. 104-107.

[28] Order of Her Majesty in Council admitting British Columbia into the Union, dated the 16th day of May, 1871, annexe, par. 13, trad. ministère de la Justice du Canada.

[29] Jack et autres c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 294, p. 299.

[30] Id., p. 311.

[31] Loi de 1870 sur le Manitoba, 33 Vict., c. 3 (Canada), art. 31. Voir à ce sujet Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14.

[32] Procureur général du Manitoba c. Forest, [1979] 2 RCS 1032, p. 1039.

[33] Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14, par. 154.

[34] Canada, Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport…, vol. 1 : Un passé, un avenir, Ministre des approvisionnements et Services, 1996, p. 173.

[35] Canada, Affaires indiennes et du Nord Canada, Règlement des revendications des Autochtones. Un guide pratique de l’expérience canadienne, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2003, p. 4.

[36] La dernière décision dans ce dossier est le refus du comité judiciaire du Conseil privé d’accorder à Riel l’autorisation d’en appeler de la confirmation de sa condamnation et de sa peine par le Queen’s Bench du Manitoba: Riel v. The Queen, (1885) 10 App. Cas. 675.

[37] Imperial Order in Council, July 28, 1880. Colonial Office Papers, Series No. 42, Vol. 764, p. 329. Voir à ce sujet G.W. Smith, « The transfer of Arctic Territories from Great Britain to Canada in 1880, and some related matters, as seen in official correspondence », ARCTIC, [S.l.], v. 14, n. 1, p. 53-73, jan. 1961, en ligne : http://arctic.journalhosting.ucalgary.ca/arctic/index.php/arctic/article/view/3660  

[38] Loi sur l’Alberta, (1905) 4-5 Éd. VII, c. 3 (Canada), art. 21.

[39] Loi sur la Saskatchewan, (1905) 4-5 Éd. VII, c. 42 (Canada), art. 21.

[40] Loi constitutionnelle de 1930, 20-21 Geo. V, c. 26 (R.-U.).

[41] Par. 13, 12 et 12, respectivement, des conventions relatives au Manitoba, à l’Alberta et à la Saskatchewan figurant en annexe à la Loi constitutionnelle de 1930, 20-21 Geo. V, c. 26 (R.-U.).

[42] R. c. Blais, [2003] 2 R.C.S. 236, par. 36.

[43] R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901, p. 933. Voir aussi Frank c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 95, p. 100; Prince c. The Queen, [1964] R.C.S. 81, à la p. 84.

[44] S. Grammond, Aménager la coexistence : les peuples autochtones et le droit canadien, Bruylant/Yvon Blais, 2003, p. 89.

[45] R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, par. 43-48.

[46] R. c. Sundown, [1999] 1 R.C.S. 393, par. 8.

[47] Une transcription de la négociation des sept premiers traités a été publiée par un représentant du gouvernement d’alors : A. Morris, The Treaties of Canada with the Indians of Manitoba and the North-West Territories, Toronto, Belfords, Clarke & Co., 1880.

[48] R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, p. 798. 

[49] S. Grammond, Aménager la coexistence : les peuples autochtones et le droit canadien, Bruylant/Yvon Blais, 2003, p. 253.

[50] Ontario (P.-G.) c. Bear Island Foundation, [1991] 2 R.C.S. 570.

[51] Acte concernant la délimitation des frontières nord-ouest, nord et nord-ouest de la province de Québec, S.C. 1898, ch. 3 ; Loi concernant la délimitation des frontières nord-ouest, nord et nord-ouest de la province de Québec, S.Q. 1898, ch. 6.

[52] Loi de l’extension des frontières de Québec, S.C. 1912, c. 45, art. 2 ; Loi concernant l’agrandissement du territoire de la province de Québec par l’annexion de l’Ungava, S.Q. 1912, ch. 7, art. 2.

[53] R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1104.

[54] Voir notamment P.C. Oliver, The Constitution of Independence: The Development of Constitutional Theory in Australia, Canada, and New Zealand, Oxford, Oxford University Press, 2005.

[55] The Queen v. The Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, ex parte: The Indian Association of Alberta, Union of New Brunswick Indians, Union of Nova Scotian Indians, (1981) 4 C.N.L.R. 86.

[56] Kerry Wilkins, « Still Crazy after All These Years: Section 88 of the Indian Act at Fifty », (2000) 38(2) Alberta Law Review 458-503, p. 462.

[57] Ibid., p. 463.

[58] Canada, Affaires indiennes et du Nord Canada, La politique indienne du gouvernement du Canada, 1969, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1969. 

[59] Id., p. 12.

[60] Id., p. 8.

[61] Voir P.G McHugh, Aboriginal Societies and the Common Law: A History of Sovereignty, Status, and Self-Determination, Oxford, Oxford University Press, 2004, pp. 289 s.

[62] Voir R. Romanow, J. Whyte et H. Leeson, Canada… Notwithstanding. The Making of the Constitution, 1976-1982, 25th anniversary ed., Toronto, Thompson/Carswell, 2007, pp. 121-122.

[63] R. c. Côté, [1996] 3 R.C.S. 139.

[64] Gros-Louis c. Société de développement de la Baie James, [1974] R.P. 38 (C.S.).

[65] Société de Développement de la Baie-James c. Kanatewat, [1975] C.A. 166.

[66] Kanatewat c. Société de Développement de la Baie James, [1975] S.C.C.A. No. 1.

[67] Maxime St-Hilaire, « La proposition d’entente de principe avec les Innus : vers une nouvelle génération de traités ? », (2003) 44 Les Cahiers de Droit 395.

[68] Christa Scholtz & Maryna Polataiko, « Transgressing the Division of Powers », (2019) 34 Canadian Journal of Law and Society / Revue canadienne Droit et Société 393-415.

[69] Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois, S.C. 1976-77, ch. 32, par 3(3).

[70] Ross River Dena Council v. Canada, 2019 YKCA 3 (CanLII), par. 100.

[71] Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois, S.C. 1976-77, ch. 32, art. 7.

[72] R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1104.

[73] Olive P. Dickason, Les Premières nations du Canada (1992), Sillery (Québec), Septentrion, 1996, p. 272.

[74] P.G. McHugh, rapport d’expert, par. 10, cité dans Ross River Dena Council v. The Attorney General of Canada, 2012 YKSC 4.

[75] Ross River Dena Council v. Canada (Attorney General), 2013 YKCA 6.

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