Mesures d’urgence et pandémie du coronavirus : quels sont les droits des travailleuses et travailleurs?

Ce billet répond à un certain nombre de questions qu’on m’a posées, notamment lors des entrevues ici, ici et ici. Le gouvernement fédéral et celui du Québec ont chacun annoncé qu’ils prendraient des mesures d’urgence afin de soutenir les travailleuses et travailleurs pendant la pandémie. En date d’aujourd’hui, les détails de ces mesures sont inconnus et la situation risque d’évoluer dans les prochains jours. J’ajouterais alors des précisions à la fin du billet lorsque ces informations deviennent disponibles.

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Chercher ses confiseries au cannabis dans une province voisine : est-ce légal?

Le 17 octobre dernier, un après la légalisation de la vente, la culture et la possession du cannabis aux fins récréatives, le gouvernement fédéral a modifié l’Annexe 4 de la Loi sur le cannabis (la « Loi canadienne ») afin de permettre la vente de cannabis comestible, d’extrait de cannabis et de cannabis pour usage topique. Le même jour, des normes encadrant le contenu et l’étiquetage de ces produits furent intégrées au Règlement sur le cannabis. Désormais, deux produits prisés par nos voisins du sud – les vapoteuses de cannabis et les fameux gummies au cannabis – sont disponibles sur le marché canadien. Sauf au Québec.

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Le gouvernement peut-il forcer les commissions scolaires à appliquer la Loi sur la laïcité de l’État?

Le projet de Loi sur la laïcité de l’État (« la Loi ») déposé par le gouvernement du Québec pose son lot de problèmes. Plusieurs de ses dispositions portent clairement atteinte aux droits fondamentaux des personnes visées, notamment leur droit à l’égalité sans discrimination, leur liberté de religion et leur liberté d’expression. Dans la mesure où les dispositions de la Loi prévalent sur celles des conventions collectives dûment négociées, elles portent aussi probablement atteinte à la liberté d’association des salariés syndiqués du secteur public. C’est sûrement en raison de ces atteintes évidentes qu’on y ait inclus des dispositions de dérogation de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte des droits et libertés de la personne.

Au-delà de la question de la constitutionnalité de la Loi – laquelle me semble malheureusement acquise, malgré l’opinion savante de certains de mes collègues – se pose celle de son application. Au moins une commission scolaire a déjà annoncé qu’elle ne l’appliquerait pas, ce qui a mené la ministre de la Sécurité publique à faire l’affirmation loufoque selon laquelle ce serait à la police d’assurer l’interdiction applicable à certaines personnes enseignantes de porter des signes religieux.

Mais ce n’est pas parce que la Loi ne comprend pas de dispositions pénales qui habiliteraient l’intervention de la police qu’elle n’est pas applicable. Dans ce billet j’explique que, sur le plan strictement juridique, le gouvernement détient tous les pouvoirs nécessaires pour assurer que les commissions scolaires appliquent la Loi. Par contre, le droit ne s’applique pas par lui-même; il est mis en œuvre par des personnes. Il est donc possible que l’interdiction de porter les signes religieux soit, dans les faits, assez inefficace. Continuer à lire … « Le gouvernement peut-il forcer les commissions scolaires à appliquer la Loi sur la laïcité de l’État? »

La restriction de la consommation du cannabis par les policiers : dérives d’une panique morale

Demain, la distribution, la vente et la possession du cannabis séché et de l’huile de cannabis seront désormais permises au Canada. Puisqu’il s’agit d’un sujet sur lequel je me penche depuis un certain temps (dont dans ma thèse de doctorat et dans un article), on m’a souvent demandé quel serait l’effet de la légalisation sur le droit du travail.

Mon premier réflexe était d’affirmer que cela ne devrait pas changer grand-chose. La jurisprudence abondante issue des juridictions spécialisées en droit du travail et en droits de la personne –confirmée par la Cour d’appel fédérale, la Cour d’appel de l’Ontario, la Cour d’appel du Québec et la Cour suprême du Canada–, est presque unanime : le seul intérêt qu’a un employeur à contrôler la consommation de drogues chez ses salariés est de s’assurer que ces derniers se présentent au travail sans facultés affaiblies et aptes à exercer leurs fonctions en toute sécurité. Ce qu’un salarié fait à l’extérieur de ses heures de travail relève de sa vie privée et, règle générale, son employeur n’a aucun droit de regard là-dessus. Dans la vaste majorité des cas, la légalité de la substance consommée par un salarié à l’extérieur du travail n’est simplement pas pertinente pour l’analyse.

Or, il semblerait que l’idée que leurs salariés puissent consommer légalement du cannabis à l’extérieur du travail suscite une panique morale chez certains employeurs dont, au premier chef, des corps policiers. Dans ce billet, j’explique pourquoi les différents corps policiers canadiens se sont empressés à adopter des politiques portant sur la consommation du cannabis chez leurs salariés. J’émets également des hypothèses sur les origines des politiques les plus draconiennes ainsi que les conséquences de leur adoption.

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L’intervention gouvernementale dans le lock-out à l’UQTR : un cadeau empoisonné

Le lock-out imposé par l’Université du Québec à Trois Rivières (UQTR) à ses professeur-e-s a semé l’émoi dans la communauté universitaire du Québec et a rebondi à l’Assemblée nationale. La ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, a affirmé que la direction de l’UQTR a perdu sa confiance et a demandé la levée du lock-out et la reprise des négociations. Dans l’éventualité d’une impasse, elle a recommandé aux parties de se soumettre à l’arbitrage volontaire. Pour sa part, la CAQ a appelé à l’adoption d’une loi spéciale pour mettre fin au lock-out.

Dans ce billet, je situe le conflit à l’UQTR dans son contexte politique, notamment le sous-financement des universités québécoises et les efforts des directions universitaires pour rationaliser leur exploitation de la main-d’œuvre. Je poursuis la réflexion en affirmant que – malgré sa réception plutôt positive par la communauté universitaire – l’immixtion de la ministre David dans ce conflit ne présage rien de bon pour la liberté d’association des professeur-e-s d’université et notamment leur droit constitutionnel de faire la grève.
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(Un)Constitutionality of the York University Labour Disputes Resolution Act

Last Monday, Daniel Flynn, the Ontario Minister Labour tabled An Act to resolve labour disputes between York University and Canadian Union of Public Employees, Local 3903 (the York University Labour Disputes Resolution Act). The legislation (which died on the order paper due to the election) would have put an end to the CUPE 3903 strike and, ultimately, forced the parties to resolve their dispute by binding arbitration. As is always the case with Canadian back-to-work legislation, the Act contains punitive provisions that set out stiff penalties for the union and for individual workers in the event that they refuse to return to work. In light of the Supreme Court’s decision in Saskatchewan Federation of Labour and the emerging jurisprudence on the contours of the constitutional protection of the right to strike, there are credible – though not dispositive – reasons to doubt the constitutional validity of the Act. This raises the tricky question of how unions ought to respond to back-to-work legislation that they reasonably believe to be unconstitutional.

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La grève : moteur du droit du travail

Ce billet est la retranscription de l’allocution d’ouverture du panel « Conflits de travail : grèves et autres actions collectives et leurs impacts sur les soignants et les patients » du colloque annuel des programmes de Droit et politiques de la santé. Le thème du colloque cette année était « Travailler dans le secteur de la santé : enjeux juridiques ».


Nous – professionnels du droit – avons une tendance à décrire son évolution en énumérant les changements successifs perceptibles dans son expression écrite, à savoir la législation et la jurisprudence. Même en nous concentrant sur les soubresauts imprévus de la jurisprudence (dont il ne manque pas en droit du travail), nous mettons la rationalité juridique au cœur de l’intrigue. La théorie, souvent implicite, sous-jacente à une telle analyse suppose que le droit évolue d’une manière linéaire et, surtout, selon une logique interne. On peut qualifier cette théorie implicite – de façon un peu caricaturale, j’en conviens – d’hégélienne. Chaque moment de l’évolution du droit contiendrait le germe du moment subséquent et ils se succéderaient dans un processus de raffinement rationnel tendant vers la perfection. On trouve un exemple patent de ce type de raisonnement dans le premier paragraphe des motifs de la juge Abella dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour, où elle cite une succession d’arrêts de la Cour suprême en rafale pour ensuite conclure que « [c]e parcours fait ressortir une inclination croissante à favoriser la justice au travail. »

Mais le droit n’est pas l’instanciation d’une idée abstraite. Il est plutôt le reflet – imparfait, il faut le dire – des rapports sociaux. Il s’en suit que l’évolution du droit témoigne de l’évolution de la société. Ainsi, les modifications observables dans la législation et la jurisprudence ne sont souvent que la cristallisation juridique de changements sociaux préalables. Comme le dit le célèbre dicton du Doyen Carbonnier : « [N]’y a-t’il pas, derrière le législateur juridique, des législateurs sociologiques ? » On peut qualifier cette perspective – de façon tout aussi caricaturale – de marxiste, en ce sens qu’elle ne fonde pas son analyse de la transformation du droit sur le développement des idées, mais plutôt sur les rapports matériels entre individus déterminés à des moments historiques précis.

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Quand le ministre de la Santé se croit au-dessus des lois

Le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, est réputé pour être un « matamore autoritaire » qui dirige son ministère d’une main de fer. Effectivement, les modifications apportées au réseau de la santé sous le règne du ministre Barrette témoignent d’une forte volonté de centraliser le pouvoir au nom d’une gestion plus efficace. Pensons, notamment, à la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales (« Loi 10 ») et la Loi édictant la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée (« Loi 20 »), lesquelles transfèrent au ministre des pouvoirs qui appartenaient auparavant aux agences régionales de la santé et aux conseils d’administration des établissements de santé. De plus, ces lois octroient au ministre un pouvoir important de déterminer les conditions de travail de certain-e-s salarié-e-s du réseau et les conditions de rétribution des médecins.

Cependant, ces pouvoirs ne sont pas sans limites, ce que la Cour supérieure a rappelé au ministre dans son jugement rendu le 20 juillet dernier dans l’affaire Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux c. Barrette. Manifestement insatisfait de ces limites, le ministre a déposé récemment un projet de loi, la Loi concernant certaines conditions de travail applicables aux cadres des établissements de santé et de services sociaux, dont le seul objectif est d’annuler les effets de ce jugement. Ce faisant, le ministre démontre son mépris pour le principe de la primauté du droit. De plus, pour des raisons que j’explique dans ce billet, ce projet de loi porte vraisemblablement atteinte aux droits constitutionnels des salarié-e-s qui y sont visé-e-s.

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A.j.j. c. Canada : le retour du contrat individuel de travail en milieu syndiqué?

Le 3 novembre dernier, la Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général). La Cour a cassé la décision de la Cour d’appel fédéral et rétabli la décision de l’arbitre de grief Stephan J. Bertrand de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique. L’arbitre Bertrand avait conclu que la directive du Procureur général imposant à ses juristes des quarts de garde après les heures normales de travail n’était pas un exercice légitime des droits de direction dont dispose tout employeur. De surcroît, il a conclu que la directive portait atteinte à la liberté protégée par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, puisqu’elle s’immisçait directement dans plusieurs volets de l’autonomie personnelle des employés en question.

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Fermeture d’Uber : la CNESST devrait enquêter

Uber a annoncé aujourd’hui qu’elle s’apprête à plier bagage pour quitter le marché québécois. La multinationale a indiqué qu’elle cessera ses activités le 14 octobre prochain. La raison invoquée est l’imposition prochaine par le ministère du Transport de nouvelles obligations, notamment l’obligation des chauffeurs de suivre une formation de 35 heures, ce que la compagnie prétend serait incompatible avec son modèle d’affaires.

Advenant qu’Uber mette sa menace à l’exécution, ses chauffeurs vont perdre leur emploi. Quelles sont les obligations de la compagnie à cet égard et comment peut-on s’assurer qu’elle les respecte ? Voilà les questions auxquelles le présent billet tentera de répondre.

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