Fermeture d’Uber : la CNESST devrait enquêter

Uber a annoncé aujourd’hui qu’elle s’apprête à plier bagage pour quitter le marché québécois. La multinationale a indiqué qu’elle cessera ses activités le 14 octobre prochain. La raison invoquée est l’imposition prochaine par le ministère du Transport de nouvelles obligations, notamment l’obligation des chauffeurs de suivre une formation de 35 heures, ce que la compagnie prétend serait incompatible avec son modèle d’affaires.

Advenant qu’Uber mette sa menace à l’exécution, ses chauffeurs vont perdre leur emploi. Quelles sont les obligations de la compagnie à cet égard et comment peut-on s’assurer qu’elle les respecte ? Voilà les questions auxquelles le présent billet tentera de répondre.

Les obligations d’Uber envers ses chauffeurs en cas de fermeture

Dans un billet antérieur, j’ai expliqué que – même s’ils ne sont pas des salariés au sens du Code civil du Québec ou du Code du travail –, les chauffeurs d’Uber risquent d’être considérés comme étant des salariés au sens de la Loi sur les normes du travail, et ce, en raison de la définition élargie de « salarié » qui se trouve dans cette loi.

Lorsqu’une entreprise cesse ses activités, la Loi sur les normes du travail l’oblige à donner un avis écrit à ses salariés ou, à défaut, leur verser une indemnité compensatrice équivalente à leur salaire habituel pour une période égale à celle de l’avis. Puisqu’Uber a seulement opéré au Québec depuis 2013, aucun de ses salariés ne justifie de plus de cinq ans de service continu. Dans ces circonstances, la durée de l’avis serait de deux semaines. A priori, l’avis d’une fermeture le 14 octobre prochain serait donc suffisant.

Par contre, la période d’avis est augmentée lorsqu’il s’agit d’un licenciement collectif et, dans ce cas, le ministre du Travail est le destinataire de l’avis. Lorsque plus de dix salariés sont visés, l’avis est de huit semaines. Lorsque plus de 100 salariés sont visés, l’avis est de 12 semaines. Enfin, lorsque le licenciement touche plus de 300 salariés, l’avis est de 16 semaines. Comme avec l’avis individuel, lorsque l’avis de licenciement collectif est insuffisant, les salariés visés ont droit à une indemnité.

Bien qu’il soit difficile de savoir exactement combien de chauffeurs travaillent pour Uber au Québec, ils se comptent par milliers. Aucun avis n’ayant été envoyé au ministre du Travail, on est autorisé à croire que Uber devra payer à ses chauffeurs une indemnité équivalente à 16 semaines de leur salaire habituel lorsqu’elle ferme ses portes.

Par ailleurs, la Loi sur les normes du travail prévoit aussi que les salariés ont droit à une indemnité afférente au congé annuel équivalent à 4% du salaire gagné dans l‘année. Elle devra aussi verser ces sommes. (Notons que, puisque la prescription des droits prévus à la Loi sur les normes du travail est d’un an, ils ne pourront pas chercher ces montants pour les années antérieures).

Comment faire respecter la loi?

On peut se demander si les chauffeurs d’Uber vont voir les sommes qui leur seront vraisemblablement dues. Après tout, Uber nie qu’elle est leur employeur et ça prendrait certainement une poursuite pour qu’elle reconnaisse ses obligations. Les sommes en jeux ne justifient peut-être pas les coûts faramineux qui sont malheureusement associés à une poursuite en justice.

Par contre, plusieurs autres options se présentent aux chauffeurs :

Premièrement, un représentant pourrait intenter une action collective (anciennement « recours collectif ») puisque leurs demandes « soulèvent des questions de droit […] identiques ». Il existe un Fonds d’aide aux actions collectives qui pourrait aider le financement d’un tel recours.

Deuxièmement, les chauffeurs pourraient porter plainte à la Commission des normes de l’équité de la santé et de la sécurité du travail (la CNESST). La CNESST pourrait alors mettre l’employeur en demeure par écrit de payer les sommes dues aux salariés et, éventuellement, intenter un recours devant les tribunaux pour leur compte.

Ces deux premières options requièrent une action positive des chauffeurs qui devraient chercher les éléments de preuve afin d’étayer leurs prétentions, déposer leur plainte ou poursuite, et participer au procès éventuel. Par contre, il existe une autre option, bien plus efficace : la CNESST pourrait utiliser son pouvoir d’enquête pour demander les comptes à Uber pour l’ensemble de ses chauffeurs. En effet, la Loi sur les normes du travail (et la Loi sur la santé et la sécurité du travail) accorde de vastes pouvoirs d’enquête à la CNESST et elle peut les utiliser de sa propre initiative, sans qu’elle soit saisie d’une plainte. La CNESST n’utilise malheureusement pas ce pouvoir souvent en matière de normes minimales du travail, mais il me semble que le cas d’Uber en est un où elle devrait se sentir obligée d’intervenir.

 

 

Auteur : Finn Makela

Finn Makela est membre du Barreau du Québec depuis 2005 et professeur à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke depuis 2009. Il est diplômé en philosophie des universités McGill et Carleton et a étudié le droit civil et la common law à l’Université McGill. Il a fait son doctorat en droit à l’Université de Montréal. Avant de se joindre à la Faculté, le professeur Makela a pratiqué le droit pendant plusieurs années au sein d’un cabinet à Montréal, où il œuvrait dans les domaines du droit du travail, du droit administratif et des droits de la personne. Depuis, il poursuit ses recherches dans ces champs ainsi qu’en théorie du droit et en droit de l’enseignement supérieur. Il s’intéresse tout particulièrement à la reconnaissance étatique de la liberté d’association, sujet qu’il aborde de la perspective du pluralisme juridique.

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