Mesures d’urgence et pandémie du coronavirus : quels sont les droits des travailleuses et travailleurs?

Ce billet répond à un certain nombre de questions qu’on m’a posées, notamment lors des entrevues ici, ici et ici. Le gouvernement fédéral et celui du Québec ont chacun annoncé qu’ils prendraient des mesures d’urgence afin de soutenir les travailleuses et travailleurs pendant la pandémie. En date d’aujourd’hui, les détails de ces mesures sont inconnus et la situation risque d’évoluer dans les prochains jours. J’ajouterais alors des précisions à la fin du billet lorsque ces informations deviennent disponibles.

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La grève : moteur du droit du travail

Ce billet est la retranscription de l’allocution d’ouverture du panel « Conflits de travail : grèves et autres actions collectives et leurs impacts sur les soignants et les patients » du colloque annuel des programmes de Droit et politiques de la santé. Le thème du colloque cette année était « Travailler dans le secteur de la santé : enjeux juridiques ».


Nous – professionnels du droit – avons une tendance à décrire son évolution en énumérant les changements successifs perceptibles dans son expression écrite, à savoir la législation et la jurisprudence. Même en nous concentrant sur les soubresauts imprévus de la jurisprudence (dont il ne manque pas en droit du travail), nous mettons la rationalité juridique au cœur de l’intrigue. La théorie, souvent implicite, sous-jacente à une telle analyse suppose que le droit évolue d’une manière linéaire et, surtout, selon une logique interne. On peut qualifier cette théorie implicite – de façon un peu caricaturale, j’en conviens – d’hégélienne. Chaque moment de l’évolution du droit contiendrait le germe du moment subséquent et ils se succéderaient dans un processus de raffinement rationnel tendant vers la perfection. On trouve un exemple patent de ce type de raisonnement dans le premier paragraphe des motifs de la juge Abella dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour, où elle cite une succession d’arrêts de la Cour suprême en rafale pour ensuite conclure que « [c]e parcours fait ressortir une inclination croissante à favoriser la justice au travail. »

Mais le droit n’est pas l’instanciation d’une idée abstraite. Il est plutôt le reflet – imparfait, il faut le dire – des rapports sociaux. Il s’en suit que l’évolution du droit témoigne de l’évolution de la société. Ainsi, les modifications observables dans la législation et la jurisprudence ne sont souvent que la cristallisation juridique de changements sociaux préalables. Comme le dit le célèbre dicton du Doyen Carbonnier : « [N]’y a-t’il pas, derrière le législateur juridique, des législateurs sociologiques ? » On peut qualifier cette perspective – de façon tout aussi caricaturale – de marxiste, en ce sens qu’elle ne fonde pas son analyse de la transformation du droit sur le développement des idées, mais plutôt sur les rapports matériels entre individus déterminés à des moments historiques précis.

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Quand le ministre de la Santé se croit au-dessus des lois

Le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, est réputé pour être un « matamore autoritaire » qui dirige son ministère d’une main de fer. Effectivement, les modifications apportées au réseau de la santé sous le règne du ministre Barrette témoignent d’une forte volonté de centraliser le pouvoir au nom d’une gestion plus efficace. Pensons, notamment, à la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales (« Loi 10 ») et la Loi édictant la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée (« Loi 20 »), lesquelles transfèrent au ministre des pouvoirs qui appartenaient auparavant aux agences régionales de la santé et aux conseils d’administration des établissements de santé. De plus, ces lois octroient au ministre un pouvoir important de déterminer les conditions de travail de certain-e-s salarié-e-s du réseau et les conditions de rétribution des médecins.

Cependant, ces pouvoirs ne sont pas sans limites, ce que la Cour supérieure a rappelé au ministre dans son jugement rendu le 20 juillet dernier dans l’affaire Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux c. Barrette. Manifestement insatisfait de ces limites, le ministre a déposé récemment un projet de loi, la Loi concernant certaines conditions de travail applicables aux cadres des établissements de santé et de services sociaux, dont le seul objectif est d’annuler les effets de ce jugement. Ce faisant, le ministre démontre son mépris pour le principe de la primauté du droit. De plus, pour des raisons que j’explique dans ce billet, ce projet de loi porte vraisemblablement atteinte aux droits constitutionnels des salarié-e-s qui y sont visé-e-s.

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A.j.j. c. Canada : le retour du contrat individuel de travail en milieu syndiqué?

Le 3 novembre dernier, la Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général). La Cour a cassé la décision de la Cour d’appel fédéral et rétabli la décision de l’arbitre de grief Stephan J. Bertrand de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique. L’arbitre Bertrand avait conclu que la directive du Procureur général imposant à ses juristes des quarts de garde après les heures normales de travail n’était pas un exercice légitime des droits de direction dont dispose tout employeur. De surcroît, il a conclu que la directive portait atteinte à la liberté protégée par l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, puisqu’elle s’immisçait directement dans plusieurs volets de l’autonomie personnelle des employés en question.

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Fermeture d’Uber : la CNESST devrait enquêter

Uber a annoncé aujourd’hui qu’elle s’apprête à plier bagage pour quitter le marché québécois. La multinationale a indiqué qu’elle cessera ses activités le 14 octobre prochain. La raison invoquée est l’imposition prochaine par le ministère du Transport de nouvelles obligations, notamment l’obligation des chauffeurs de suivre une formation de 35 heures, ce que la compagnie prétend serait incompatible avec son modèle d’affaires.

Advenant qu’Uber mette sa menace à l’exécution, ses chauffeurs vont perdre leur emploi. Quelles sont les obligations de la compagnie à cet égard et comment peut-on s’assurer qu’elle les respecte ? Voilà les questions auxquelles le présent billet tentera de répondre.

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Le droit (constitutionnel) de grève suspendu pour 12 mois dans le secteur de la santé

Jeudi dernier, le Tribunal administratif du travail (le « TAT») a rendu une décision importante par laquelle il « déclarait » inconstitutionnel l’article 111.10 du Code du travail. Il s’agit là d’une conséquence logique de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour. Or, si la décision du TAT est bien fondée en ce qui concerne la constitutionnalité de l’article en question, il est du moins douteux qu’il avait le pouvoir d’accorder le remède qu’il a choisi.

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Une loi spéciale pour l’industrie de la construction : une intervention justifiée?

Le constitutionnaliste Peter Hogg est connu pour avoir élaboré la « théorie du dialogue » entre les tribunaux – notamment la Cour suprême – et les législatures provinciales et fédérales. Selon cette théorie, quand la Cour suprême invalide une loi qu’elle a trouvée inconstitutionnelle, elle inscrit dans ses motifs les jalons qui serviront à guider la législature dans la préparation d’une éventuelle loi de remplacement. Ainsi, les tribunaux ne seraient pas les arbitres finaux du contenu des lois, mais des interlocuteurs privilégiés dans le processus démocratique de leur élaboration.

À voir la conduite récente du gouvernement du Québec en matière de liberté d’association et de ses corollaires – les droits à la négociation collective et de grève – il semblerait plutôt être un dialogue de sourds.

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La stratégie « gagnante-gagnante » des juristes de l’État

La grève des juristes de l’État s’éternise. Que peut faire le gouvernement pour régler ce dossier sans se plier aux demandes de ses fonctionnaires ? Pas grande chose. Leur syndicat a adopté une stratégie brillante qui tienne compte de la jurisprudence récente en matière de liberté d’association. Cette stratégie est « gagnante-gagnante » pour les juristes de l’État : s’ils gagnent, ils gagnent. S’ils perdent, ils gagnent aussi ! Dans ce billet, j’explique pourquoi.

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Pour en finir avec les postes « syndicables non-syndiqués » dans le secteur de la santé

On assiste actuellement à un brassage important des cartes dans la représentation syndicale au sein du secteur de la santé au Québec. En effet, au cours des prochains mois il y aura de multiples votes partout dans la province par lesquels les travailleuses et travailleurs de ce secteur choisiront les syndicats qui les représenteront. Tout cela découle des fusions d’établissements occasionnées par l’entrée en vigueur de la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales (la «Loi 10»).

Un groupe de salariés risque de ne pas avoir voix au chapitre. Il s’agit de ceux qui occupent des postes désignés par les établissements comme «syndicables non-syndiqués». N’étant actuellement représentées par aucun syndicat, ces personnes ne recevront pas de bulletin de vote lors de la campagne en cours. Or, selon nous, de tels postes sont incompatibles avec le régime de représentation syndicale applicable dans le secteur de la santé. Les personnes occupant des postes «syndicables non-syndiqués» devraient donc pouvoir voter.

Mise à jour : Apparemment, tous les salariés recevront un bulletin de vote. Dans les établissements issus de fusions où un des établissements «préfusionnels» comprenait une catégorie de salariés non représentée par syndicat, l’option «aucun syndicat» sera offerte. Le problème se situe plutôt au niveau de salariés titulaires de postes qui ne sont supposément pas inclus dans l’une ou l’autre des catégories. Les fusions d’établissements fournissent l’occasion pour régulariser leur situation, mais il ne semble pas que cela va arriver.
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Le Code civil s’applique-t-il vraiment aux contrats de travail « fédéraux » ?

Les sources du droit du travail au Canada, dans chacune des provinces ainsi que dans les domaines sujets au pouvoir fédéral, sont doubles : le droit commun et la législation d’exception (« statute law »). Le droit commun établit les fondements contractuels de la relation d’emploi et la législation d’exception y ajoute ou déroge pour répondre aux problématiques particulières ou pour mettre en œuvre des politiques publiques. Ainsi, au Québec, les articles 2085 à 2097 C.c.Q. établissent la nature et la portée du contrat de travail. La Loi sur les normes du travail y ajoute des dispositions particulières (salaire minimum, jours fériés et chômés, vacances annuelles, etc.), la Loi sur la santé et la sécurité du travail y ajoute un cadre normatif pour assurer qu’il s’exécute dans des conditions sécuritaires et le Code du travail y ajoute des règles spécifiques aux rapports collectifs du travail (relations entre salariés, syndicats et employeurs). Bien que le contenu précis des lois d’exception puisse varier, on trouve la même répartition entre droit commun et législation d’exception dans chacune des autres provinces. À la différence du Québec, les règles et principes du droit commun applicables dans les autres provinces n’ont pas d’expression législative puisqu’aucune province n’a codifié sa common law dans le domaine du droit privé. Par ailleurs, même si, en principe, la common law pourrait différer d’une province à une autre, en pratique les règles et principes du droit commun applicables au contrat de travail sont identiques pour toutes les provinces autres que le Québec, notamment en raison de l’effet unificateur des décisions de la Cour suprême.

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