Quand le ministre de la Santé se croit au-dessus des lois

Le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, est réputé pour être un « matamore autoritaire » qui dirige son ministère d’une main de fer. Effectivement, les modifications apportées au réseau de la santé sous le règne du ministre Barrette témoignent d’une forte volonté de centraliser le pouvoir au nom d’une gestion plus efficace. Pensons, notamment, à la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales (« Loi 10 ») et la Loi édictant la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée (« Loi 20 »), lesquelles transfèrent au ministre des pouvoirs qui appartenaient auparavant aux agences régionales de la santé et aux conseils d’administration des établissements de santé. De plus, ces lois octroient au ministre un pouvoir important de déterminer les conditions de travail de certain-e-s salarié-e-s du réseau et les conditions de rétribution des médecins.

Cependant, ces pouvoirs ne sont pas sans limites, ce que la Cour supérieure a rappelé au ministre dans son jugement rendu le 20 juillet dernier dans l’affaire Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux c. Barrette. Manifestement insatisfait de ces limites, le ministre a déposé récemment un projet de loi, la Loi concernant certaines conditions de travail applicables aux cadres des établissements de santé et de services sociaux, dont le seul objectif est d’annuler les effets de ce jugement. Ce faisant, le ministre démontre son mépris pour le principe de la primauté du droit. De plus, pour des raisons que j’explique dans ce billet, ce projet de loi porte vraisemblablement atteinte aux droits constitutionnels des salarié-e-s qui y sont visé-e-s.

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Le droit (constitutionnel) de grève suspendu pour 12 mois dans le secteur de la santé

Jeudi dernier, le Tribunal administratif du travail (le « TAT») a rendu une décision importante par laquelle il « déclarait » inconstitutionnel l’article 111.10 du Code du travail. Il s’agit là d’une conséquence logique de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour. Or, si la décision du TAT est bien fondée en ce qui concerne la constitutionnalité de l’article en question, il est du moins douteux qu’il avait le pouvoir d’accorder le remède qu’il a choisi.

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Une loi spéciale pour l’industrie de la construction : une intervention justifiée?

Le constitutionnaliste Peter Hogg est connu pour avoir élaboré la « théorie du dialogue » entre les tribunaux – notamment la Cour suprême – et les législatures provinciales et fédérales. Selon cette théorie, quand la Cour suprême invalide une loi qu’elle a trouvée inconstitutionnelle, elle inscrit dans ses motifs les jalons qui serviront à guider la législature dans la préparation d’une éventuelle loi de remplacement. Ainsi, les tribunaux ne seraient pas les arbitres finaux du contenu des lois, mais des interlocuteurs privilégiés dans le processus démocratique de leur élaboration.

À voir la conduite récente du gouvernement du Québec en matière de liberté d’association et de ses corollaires – les droits à la négociation collective et de grève – il semblerait plutôt être un dialogue de sourds.

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La stratégie « gagnante-gagnante » des juristes de l’État

La grève des juristes de l’État s’éternise. Que peut faire le gouvernement pour régler ce dossier sans se plier aux demandes de ses fonctionnaires ? Pas grande chose. Leur syndicat a adopté une stratégie brillante qui tienne compte de la jurisprudence récente en matière de liberté d’association. Cette stratégie est « gagnante-gagnante » pour les juristes de l’État : s’ils gagnent, ils gagnent. S’ils perdent, ils gagnent aussi ! Dans ce billet, j’explique pourquoi.

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Pour en finir avec les postes « syndicables non-syndiqués » dans le secteur de la santé

On assiste actuellement à un brassage important des cartes dans la représentation syndicale au sein du secteur de la santé au Québec. En effet, au cours des prochains mois il y aura de multiples votes partout dans la province par lesquels les travailleuses et travailleurs de ce secteur choisiront les syndicats qui les représenteront. Tout cela découle des fusions d’établissements occasionnées par l’entrée en vigueur de la Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales (la «Loi 10»).

Un groupe de salariés risque de ne pas avoir voix au chapitre. Il s’agit de ceux qui occupent des postes désignés par les établissements comme «syndicables non-syndiqués». N’étant actuellement représentées par aucun syndicat, ces personnes ne recevront pas de bulletin de vote lors de la campagne en cours. Or, selon nous, de tels postes sont incompatibles avec le régime de représentation syndicale applicable dans le secteur de la santé. Les personnes occupant des postes «syndicables non-syndiqués» devraient donc pouvoir voter.

Mise à jour : Apparemment, tous les salariés recevront un bulletin de vote. Dans les établissements issus de fusions où un des établissements «préfusionnels» comprenait une catégorie de salariés non représentée par syndicat, l’option «aucun syndicat» sera offerte. Le problème se situe plutôt au niveau de salariés titulaires de postes qui ne sont supposément pas inclus dans l’une ou l’autre des catégories. Les fusions d’établissements fournissent l’occasion pour régulariser leur situation, mais il ne semble pas que cela va arriver.
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Le projet de loi 110 sur le droit du travail dans le secteur municipal : une épée de Damoclès législative

« Au premier regard, la Loi semble respecter la liberté d’association des salariés municipaux […] Or, l’économie générale de la Loi et les remarques du ministre Coiteux permettent de croire que le véritable objectif législatif serait l’instauration d’un système normalisé de préparation de lois spéciales pour imposer les conditions de travail aux salariés de ce secteur. Il s’agirait, en quelque sorte, d’une épée de Damoclès législative. Si tel est le cas, le gouvernement aurait simplement pelleté le problème constitutionnel en avant […] »

[NB: ce billet fût mis à jour le 20 juin 2016 pour donner suite aux commentaires perspicaces de Mme Julie Girard-Lemay sur la nature obligatoire de la médiation tenue en vertu du projet de loi. Les ajouts sont en rouge et les suppressions sont en texte barré.]

Le 10 juin dernier, le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, Martin Coiteux, a déposé le projet de loi no 110 : Loi concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal (la « Loi »). Contrairement à ce qu’ont laissé croire les fuites dans les médias dans les derniers mois, la Loi n’imposera pas d’arbitrage obligatoire et n’accordera ni aux municipalités ni au gouvernement le pouvoir de décréter unilatéralement les conditions de travail des salariés du secteur municipal. (Peut-être que le gouvernement a réalisé que cela aurait été clairement inconstitutionnel.) Au premier regard, la Loi semble respecter la liberté d’association des salariés municipaux autres que les pompiers et policiers et, à cet égard, serait conforme à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.

La Loi met en œuvre une série d’outils qui existaient déjà dans notre droit et en aménage l’application aux fins particulières de la négociation collective dans le secteur municipal. Elle crée également une institution, le « mandataire spécial », laquelle renoue avec l’histoire particulière des lois canadiennes en matière de rapports collectifs du travail. Pris individuellement, ces outils et cette institution n’ont rien d’inquiétant pour les salariés du secteur municipal ni pour les syndicats qui les représentent. Or, l’économie générale de la Loi et les remarques du ministre Coiteux permettent de croire que le véritable objectif législatif serait l’instauration d’un système normalisé de préparation de lois spéciales pour imposer les conditions de travail aux salariés de ce secteur. Il s’agirait, en quelque sorte, d’une épée de Damoclès législative. Si tel est le cas, le gouvernement aurait simplement pelleté le problème constitutionnel en avant, car les lois spéciales en matière du travail risquent de porter atteinte aux droits constitutionnels des salariés qu’elles visent.

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Pacte fiscal et relations du travail : vers un projet de loi inconstitutionnel?

Pour donner suite au « pacte fiscal » qu’il a conclu avec les municipalités, le gouvernement du Québec s’apprête à déposer un projet de loi pour modifier le système de relations du travail dans le secteur municipal. Cette modification donne suite à une des demandes des municipalités, lesquelles prétendent qu’il y aurait un « déséquilibre » dans le système actuel. Ce « déséquilibre » serait tributaire, notamment, de l’interdiction qui est faite aux municipalités de déclarer un lock-out de leurs salariés alors que ces derniers disposent du droit de grève.

Les municipalités revendiquent le droit de décréter unilatéralement les conditions de travail de leurs salariés en cas de négociations infructueuses. Le gouvernement a dû se rendre à l’évidence qu’une loi qui accordait un tel droit aux municipalités serait inconstitutionnelle. À en croire les fuites dans les médias, la solution retenue serait plutôt de retirer le droit de grève des salariés municipaux et de leur soumettre à un système d’arbitrage de différends obligatoire. Or, cette solution risque aussi d’être déclarée inconstitutionnelle. Continuer à lire … « Pacte fiscal et relations du travail : vers un projet de loi inconstitutionnel? »