La participation des peuples autochtones en matière de protection de l’environnement : perspectives juridiques

Bien qu’ayant toujours démontré un grand intérêt envers le droit depuis mon entrée sur les bancs de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, c’est vers la fin de mon parcours universitaire que le déclic s’est produit. Le cours de Droit des autochtones, donné par le professeur Maxime St-Hilaire, que je ne saurais trop recommander aux étudiants actuels, m’a permis d’en apprendre sur un aspect du droit constitutionnel canadien plutôt méconnu et de développer un goût prononcé pour les problématiques juridiques reliées aux peuples autochtones. Les idées présentées dans ce court texte proviennent principalement des conclusions, sous une forme remaniée, d’un essai de maîtrise réalisé sous la supervision du professeur St-Hilaire.

Au Québec, les populations autochtones comptent parmi les groupes les plus négativement affectés par la poursuite des projets d’exploitation des ressources naturelles. La diminution du couvert forestier, la pollution des cours d’eau et la création de réservoirs pour la production d’énergie hydroélectrique, sont autant d’exemples où l’exercice des activités ancestrales de chasse, de pêche et de trappage sur le territoire est mis en péril par l’exploitation des ressources naturelles. Bien que d’application limitée, le droit canadien permet une implication des peuples autochtones dans la protection de l’environnement. Celle-ci s’articule principalement à deux niveaux, d’une part par le biais du droit constitutionnel relatif aux peuples autochtones, et de l’autre, par le recours aux diverses dispositions que l’on retrouve au sein du régime général de protection de l’environnement. Procédons maintenant à un bref survol de ces mécanismes juridiques participatifs.

Au niveau constitutionnel, les droits ancestraux (ce qui comprend le titre ancestral) et les droits issus de traités, droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, favorisent une plus grande implication autochtone dans l’évaluation ou la gestion des risques environnementaux. Par exemple, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (ci-après CBJNQ), conclue en 1975 entre les gouvernements fédéral et québécois et les Cris et les Inuits et aujourd’hui considérée comme le premier traité moderne en droit canadien, permet aux communautés autochtones y ayant adhéré de gérer, de façon modeste, l’exploitation des ressources naturelles sur certaines catégories de terres. Aussi, afin de doter les communautés cries de plus grands pouvoirs décisionnels en matière de gestion du territoire et de protection de l’environnement, le régime d’exploitation de la ressource forestière sur les territoires cris, initialement prévu à la CBJNQ, a fait l’objet d’une refonte en 2002 suite à la signature d’une entente modificatrice. Dans ces cas particuliers, ces droits issus de traités, permettant l’implication des autochtones dans l’évaluation des risques environnementaux, favorisent une plus grande prise en compte des intérêts et considérations des peuples autochtones concernés.

Qu’en est-il toutefois du niveau d’implication des communautés autochtones dans la préservation de l’environnement lorsque ceux-ci ne sont pas des communautés ayant conclu des accords de revendications territoriales (traités modernes) ou dont l’existence de droits ancestraux n’a pas été reconnue par les tribunaux ? Un projet relié à l’exploitation des ressources naturelles, comme par exemple celui de l’installation du pipeline Énergie-Est, sur un territoire où une communauté autochtone revendique des droits peut-il avoir lieu sans avoir au préalable consulté les communautés autochtones concernées ?

Il a été déterminé par les tribunaux canadiens que les gouvernements ont le devoir de consulter les peuples autochtones concernés préalablement à la poursuite de tout projet susceptible de porter atteinte à l’exercice de droits non-reconnus. Cette consultation, dont le degré variera en fonction de plusieurs facteurs, ne doit pas être assimilé à une négociation puisque le droit canadien ne requiert pas l’obtention d’un consentement autochtone. L’objectif de la consultation est plutôt un échange d’opinions et de points de vue. Reprenons le cas hautement polarisé de l’installation du pipeline Énergie-Est. Le tracé initial prévoit que celui-ci passerait, entre autres, sur un territoire faisant l’objet de revendications territoriales de la part de la communauté mohawk de Kanesatake. La Couronne fédérale, autorité compétente en raison de sa compétence sur le transport interprovincial, aurait dès lors l’obligation de consulter les membres de cette première nation. En cas de manquement par la Couronne à son obligation de consultation, la Cour suprême a établi dans l’affaire Tsilhqot’in qu’un tel manquement «peut donner lieu à diverses mesures de réparation, notamment une injonction, des dommages-intérêts ou une ordonnance enjoignant la tenue de consultations ou la prise de mesures d’accommodement» (par. 89). Puisqu’une grande partie du territoire québécois est grevée de droits issus de traités ou encore est sujet à des revendications sérieuses de droits ancestraux, peu de projets importants de développement et d’exploitation des ressources naturelles ne peuvent se réaliser sans une consultation des populations autochtones concernées. La pertinence du recours à l’obligation de consultation, au-delà de la possibilité de bloquer temporairement les projets d’exploitation des ressources en cas de manquement, réside dans le fait d’inclure les communautés autochtones dans les processus de développement et de prendre en considération leurs préoccupations pour préserver leurs droits ancestraux et issus de traités.

Concernant les textes législatifs québécois relatifs à la protection de l’environnement, l’on retrouve depuis peu des dispositions favorisant, à différents niveaux, une participation autochtone accrue par l’inclusion de groupes autochtones au sein d’organes consultatifs locaux. Par exemple, la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier vient mettre en place les Tables locales de gestion intégrée des ressources et du territoire. Ces entités, composées de membres de l’industrie forestière, de membres de la fonction publique et d’autochtones, sont chargées d’assurer une prise en compte des intérêts et des préoccupations des personnes et organismes concernés par les activités d’aménagement forestier et de fixer des objectifs locaux d’aménagement durable des forêts. Il s’agit donc d’un organe consultatif qui émet des recommandations et qui favorise une gestion participative dans la planification forestière. Aussi, la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection vient créer les Organismes de bassin versant. Ceux-ci ont pour objectif de promouvoir la protection, la mise en valeur et la gestion des ressources en eau. Les membres des communautés autochtones, faisant partie intégrante de ces organes, ont alors l’opportunité de participer à la gestion et à la protection des ressources aquatiques.

Cette participation autochtone, bien que selon moi toujours lacunaire en raison de l’absence d’un réel pouvoir décisionnel autochtone, permet l’inclusion d’une partie de la population fortement affectée par les projets d’exploitation des ressources naturelles. La norme constitutionnelle canadienne et le régime législatif général favorisent cette inclusion. Une protection adéquate de l’environnement passe nécessairement par une prise en considération des intérêts autochtones et une implication de ceux-ci en matière d’évaluation et de gestion des risques environnementaux. Suite à une recrudescence des projets d’exploitation des ressources naturelles sur le territoire québécois tels la reprise du Plan Nord ou le projet de port pétrolier à Belledune, il sera intéressant de suivre l’évolution du rôle participatif des populations autochtones en matière de protection de l’environnement!