Numéro spécial : Le droit sportif, vestige du traditionalism

Assya Si Ali, Étudiante en droit

Le 28 juin dernier, une professeure ainsi que deux étudiants furent poignardées lors d’un cours d’études de genre à l’Université de Waterloo en Ontario. Cette tragédie est à l’image d’une tendance politique et sociale montante : la montée de la transphobie. Cette tendance est particulièrement marquée aux États-Unis, nation pour laquelle la politique identitaire occupe une place fondamentale dans ses débats politiques. Depuis le début de l’année 2023 dans les juridictions étatiques américaines, 494 projets de lois anti-LGBTQ ont été présentés au sein de diverses législatures, la plupart de ces projets visant directement les personnes trans. Parmi ces projets de lois, quatre d’entre eux, interdisant la pratique des sports aux jeunes athlètes trans, furent adoptés par les quatre législatures respectives, s’ajoutant aux 18 états qui l’avaient fait avant eux. 

Les États-Unis ne sont pas les seuls à crouler sous le poids de cette hystérie politique, la communauté internationale étant aux prises avec le même débat. Dans les dernières années, les noms de Caster Semenya ou de Dr. Veronica Ivy (anciennement connue sous le nom Rachel McKinnon) ont fait couler l’encre des médias et des fédérations internationales de sport. En effet, la place des athlètes trans, intersexes et non-binaires dans la catégorie féminine est un enjeu complexe impliquant un travail prométhéen pour les fédérations sportives.  Une analyse de ce cadre révèle un traditionalisme marqué au sein de l’approche adoptée par les fédérations sportives, véhiculant une idéologie binaire en s’appuyant sur des fondements scientifiques extrêmement fragiles.   

Paternalisme, droit et sport féminin

La création des jeux olympiques n’ayant eu lieu qu’en 1922, les femmes n’ont que tardivement intégré le monde du sport. Freinée par le traditionalisme patriarcal, leur entrée s’est faite sur la base d’un consensus général quant à leur performance : les hommes sont biologiquement et par nature plus performants que les femmes, d’où la nécessité qu’elles aient leur propre catégorie compétitive. 

C’est par la suite que l’homme, à titre d’être plus performant et ayant autorité, s’est donné la tâche de protéger les disciplines sportives féminines des autres hommes (ce qui était appelé « sex fraud »). Ce fut dans le cadre de cette mission paternaliste des fédérations qu’apparurent les tests de féminité en 1966, des tests désignés de manière à dénicher les « fausses femmes », soit les hommes se déguisant en femmes cherchant à frauder. Initialement, les tests furent simples bien qu’humiliants pour les femmes : celles-ci devaient déambuler nues devant des gynécologues qui s’assuraient que celles-ci avaient des organes génitaux féminins. C’est ainsi que s’est développé la première définition légale d’une « femme » en droit du sport : une personne dont les organes génitaux sont féminins

La binarité, un mythe? 

Avec les développements scientifiques, ces examens furent complétés par des tests cytogénétiques en supplément. Il s’agit de tests au cours desquels une analyse des chromosomes de l’athlète (structure, présence du Y qui est masculin, etc.) sont observés à partir d’un échantillon de cellules. Cette méthode avait pour but d’offrir une tactique plus précise de vérification du sexe de l’athlète. Or, ces tests n’eurent pas l’effet escompté, révélant la diversité sexuelle existant à même la génétique. Le tableau suivant illustre bien cette multiplicité de possibilités ainsi que le fait qu’une personne n’étant pas XX peut tout de même être une femme au sens du test de féminité! 

Source : https://www.utpjournals.press/doi/pdf/10.3138/cbmh.28.2.339 

En bref, malgré le développement d’un test visant à préciser et standardiser la notion légale sous le droit sportif de la « femme », ce test a eu l’effet contraire de celui voulu. Celui-ci est venu remettre en question la binarité même du sexe, et par extension, la bi catégorisation du sport à l’image de cette binarité. Il est ainsi venu démontrer la fragilité de la définition légale d’une femme dans le droit, révélant que la notion est bien plus complexe et que l’approche traditionaliste de se saisir de la question, c’est-à-dire à travers l’approche binaire (« femmes » vs « homme »), est insuffisante d’un point de vue scientifique.   

La science moderne

De nos jours, le débat est plutôt centré sur la question des hormones. En effet, le débat génétique a été mis de côté en pathologisant toute configuration chromosomique ne rentrant pas dans les deux catégories binaires : femme XX ou homme XY. En d’autres termes, certains membres de la communauté scientifique ainsi que la société de façon plus générale ont décidé que toute personne n’étant ni XX ou XY ne serait que malade. Cette fausse idée a servi au maintien de la bi catégorisation dans le domaine du sport et persiste encore aujourd’hui à cette fin, excluant les personnes intersexes et a fortiori, excluant les femmes trans[1]

Aujourd’hui, c’est le débat hormonal qui prime au sein des fédérations sportives et de leurs règlements quant à la participation dans la catégorie « féminine ». Il s’articule principalement autour de la question des niveaux de testostérone, ainsi que de la différenciation des performances à partir de la puberté. Tel que nous l’avons vu durant la conférence du professeur Maisonneuve, l’écart de performance dû à la biologie[2] se crée à partir de la puberté des garçons. Leur production exponentielle de testostérone leur permet de développer une meilleure capacité cardiovasculaire (plus grands poumons, circulation d’oxygène dans le sang plus élevée, etc.) ainsi qu’une plus grande masse musculaire, de façon plus rapide. Cela leur permet d’une part, d’avoir une meilleure endurance et d’autre part, d’avoir généralement plus de force et de puissance. Ces deux aspects sont les deux avantages biologiques dont disposent les « hommes biologiques ». 

C’est sur la base de ces avantages que les fédérations sportives tentent de restreindre l’accès à la catégorie féminine pour servir l’objectif de l’équité sportive à travers le droit sportif. C’est en se basant sur cela que la participation des femmes trans est généralement exclue du sport. Il est en de même pour les personnes intersexes, qui ont généralement un taux de testostérone bien plus élevé.  

Cet avantage n’est toutefois pas autant significatif qu’on le croie.  Selon des études, celui-ci s’élève à approximativement 10% de différence, lorsque l’on compare le meilleur « homme » à la meilleure « femme ». De plus, il est important de rajouter que ce ne sont pas juste les avantages biologiques qui créent cette disparité : de nombreux facteurs sociaux l’influencent également. La socialisation genrée, le fait du développement des sports par les hommes ainsi que le sous-financement des activités sportives féminines[3], contribuent largement au développement un peu plus lent du sport féminin (coordination est développée plus tard notamment). Une simple étude biologique ne peut rendre compte de ce phénomène. 

En outre, il est intéressant de savoir que lors de l’hormonothérapie des femmes trans (processus au cours duquel celles-ci prennent soit des anti-androgènes et/ou de la progestérone ou des œstrogènes), celles-ci connaissent une baisse de leur performance sportive. Par exemple, dans le cas de la coureuse et recherchiste Joanna Hasper, cette baisse était de l’ordre de 12%. Pour la cycliste Jillian Bearden, cette diminution était de l’ordre de 11%. Ainsi, cet écart est très similaire à l’écart qui sépare généralement les « femmes » des « hommes ». Il est toutefois à noter que le sujet manque encore de recherche, la recherche sur le sujet n’étant que récemment mise de l’avant. 

En bref, la question hormonale qui occupe les fédérations sportives dans leur régulation du sport à travers le droit sportif est bien moins déterminante qu’elle ne devrait l’être, les bases scientifiques étant également fragiles. 

Un cadre archaïque ?

Malgré sa grande évolution, le cadre juridique quant à cette question demeure tout de même archaïque et même dangereusement invasif. 

Depuis les années 1990, les tests de féminité ne sont plus obligatoires. Toutefois, ils peuvent tout de même y procéder s’ils considèrent certaines femmes suspectes. Afin d’y procéder, ils mesurent leur niveau de testostérone et prescrivent des anti-androgènes et la prise de d’autres substances hormonales afin de diminuer ce niveau. Ce cadre général mis de l’avant par le droit sportif est hautement critiqué, autant pour ses lacunes scientifiques que pour son atteinte aux droits fondamentaux des athlètes. 

D’une part, ce cadre qui vise à promouvoir l’équité sportive est clairement fondé sur la bi catégorisation sportive et ainsi, la binarité. Or, tel que l’a constamment révélé la science particulièrement à travers la cytogénétique, le sexe n’est réellement pas binaire. Une personne peut avoir une combinaison de traits qui n’appartiennent pas uniquement à une seule des deux catégories. Ainsi, de fonder l’entièreté de ce système juridique sur la binarité semble archaïque à la lumière des découvertes scientifiques. De plus, de nombreux scientifiques estiment que les taux de testostérone ne sont pas l’instrument adéquat pour établir cette distinction des catégories. En effet, en se fondant sur l’étude GH-2000, ces derniers imputent la différence de performance non pas à la production plus élevée de testostérone, mais plutôt aux différences dans la masse corporelle maigre[4] (MCM). C’est ainsi que l’ensemble du cadre juridique encadrant cette question ne semble reposer que sur des bases fragiles, que la science ne peut appuyer malgré sa désignation comme motif principal. 

D’autre part, les procédures mises en place par ces fédérations sportives sont hautement invasives et portent atteinte à de nombreux droits fondamentaux de ces athlètes. Le cas de Caster Semenya est en l’exemple le plus connu.  L’obligation de thérapie hormonale, qui provoque de nombreux effets secondaires pouvant être gravement néfastes, porte certainement atteinte au droit à l’intégrité des athlètes. Il en est de même pour le droit à la dignité, le droit à la vie privée, le droit à l’emploi, etc. Les atteintes aux droits fondamentaux sont multiples et sévères. 

            Donc, le cadre juridique concernant cet enjeu semble coincé dans un traditionalisme prescrivant la binarité absolue, tout en portant atteinte de façon considérable aux droits des athlètes. Cette violation de leurs droits ne me semble aucunement justifiable étant donné la fragilité des fondements scientifiques utilisés pour l’appuyer. 

En conclusion, la question de la participation des athlètes trans et intersexes est une question complexe dans le droit sportif international.  Une analyse de l’historique des tests de féminité nous a permis d’observer la contradiction existant entre le discours juridique et le discours scientifique sur la binarité sexuelle, particulièrement au niveau de l’expression génétique du sexe. De plus, bien qu’il existe une différence en matière de performance sportive entre les « femmes » et les « hommes », elle est bien moins déterminante qu’on ne le croit, ce qui remet en question l’approche catégorique d’exclusion des femmes intersexes ou trans dans les compétitions sportives. Finalement, l’ensemble de cette analyse visait à démontrer le caractère archaïque du droit sportif sur la question, difficilement réconciliable avec la science, en plus des atteintes aux droits des athlètes et de leur sévérité. Il est à noter toutefois qu’il ne s’agit pas d’une analyse exhaustive de l’enjeu. En effet, un autre problème qui est souvent dénoncé par les athlètes intersexes est l’eurocentrisme dans les critères d’analyse des catégories, ouvrant la porte à la question de l’ethnicité dans la qualification juridique de la « femme » au sein du droit sportif. 


[1] Je conçois que j’ai peu parlé des personnes non-binaires. Non-binaire est une identification très large qui rejette le binarisme, mais est elle-même un spectre. Ainsi, les personnes non-binaires peuvent être nés homme ou femme, peuvent être sous hormonothérapie ou non, peuvent avoir effectué des chirurgies d’affirmations de genre, etc. Elles sont généralement différentes des personnes trans qui s’identifient aux catégories binaires homme ou femme, méritant une analyse sur la question qui leur est propre afin de ne pas généraliser. 

[2] Avant cela, tel qu’on l’a vu avec le professeur Maisonneuve, c’est la coordination due notamment à la socialisation genrée qui explique les différences de performance.   

[3] Ainsi que d’autres facteurs tels que les obstacles qui touchent tout particulièrement les filles dans le sport tels que la perte de confiance en soi. 

[4] Cet indicateur a une influence considérable sur la performance sportive, augmentant cette dernière. Tel que l’a révélé l’étude GH-2000, les « femmes » ont en moyenne 0,85 de la MCM des « hommes » et cela pourrait expliquer la différence de performance existante. De plus, la MCM est un facteur qui n’est pas influencé par la testostérone selon les recherches scientifiques. À noter que ce sujet manque encore de recherches scientifiques.

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Auteur : Alexandra Bouchard

Avocate; Candidate au doctorat et chargée de cours, Faculté de droit, Université de Sherbrooke ; Agente à la recherche et chercheuse étudiante, Centre de recherche sur la régulation et le droit de la gouvernance (CrRDG)

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