Les droits des peuples autochtones devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples…. À l’Est de l’Afrique, rien de nouveau ? (ou presque)

Saisie par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples à l’encontre du gouvernement Kenyan, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a rendu un jugement très attendu le 26 mai dernier.En effet, la décision concerne la dépossession du peuple Ogiek de ses terres ancestrales situées dans la forêt Mau au Kenya. Les Ogiek sont l’un des derniers peuples chasseurs-cueilleurs d’Afrique et leur existence est menacée par les expropriations dont ils sont victimes de la part du gouvernement kenyan. Cet décision est donc  un pas important puisqu’elle reconnaît les droits des Ogiek mais aussi et surtout apporte des réponses au statut des minorités indigènes et commence à baliser les droits des peuples au titre de la Charte africaine des droits de l’homme. Malheureusement, la Cour laisse le commentateur sur un sentiment d’inachevé. Si des avancées considérables sont apportées et vont au delà du droit des peuples autochtones, la définition proposée par la Cour est trop révérencieuse de la souveraineté des États. Sans dresser un inventaire complet des apports de la décision, et en dépit de la critique importante quant à la notion de population indigène, la Cour apporte aussi une nouvelle dimension au droit à l’alimentation qui mérite d’être saluée

 

Le regret : une définition laissée au bon vouloir des États

Dans un premier temps, la définition des peuples autochtones a été soulevée devant la Cour comme préalable permettant de circonscrire les droits dont pourrait bénéficier cette minorité. Il s’agit d’une question épineuse en droit international puisqu’il n’y a pas de consensus autour de la définition, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007 se gardant bien par exemple de se prononcer sur la question. Dans sa décision, la Cour présente différentes définitions qu’elle pourrait retenir. Elle cite notamment expressément l’article 1er de la Convention 109 de l’OIT concernant les peuples indigènes et tribaux vivant dans les pays indépendants du 27 juin 1989. Comme le mentionne la Cour, cet article énumère une série de conditions pour définir un peuple autochtone à savoir : « qu’ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation ou de l’établissement des frontières actuelles de l’Etat, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d’entre elles ». La Convention ajoute au para. 2 que le sentiment d’appartenance est fondamental dans la définition d’un peuple autochtone. Peu ou prou, ces critères ont été repris par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples dans un avis consultatif de mai 2007 qui ajoute le lien de domination (para. 12 de l’avis ). Alors qu’elle dispose d’une convention ainsi que d’un avis consultatif, la Cour a décidé d’écarter ces bases juridiques au profit d’une définition fournie par le Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités (para. 106 à 108 de la décision de la Cour). Si la définition s’inscrit dans les précédentes, elle s’en différencie car elle y ajoute deux critères : le premier est celui de la distinction volontaire par la population autochtone, le second est celui de la reconnaissance par les autorités étatiques que le groupe indigène relève d’une catégorie distincte. La Cour va même, au paragraphe 108 de sa décision, jusqu’à affirmer que ces critères constituent les standards actuels de définition des peuples autochtones en droit international – ce qui parait, en l’absence de consensus, un raccourci bien rapide. A minima, le critère de la reconnaissance étatique aurait pu être écarté par la Cour. En effet, les États, et particulièrement les États africains sont peu enclins à garantir les droits des populations indigènes. Qu’adviendrait-il des droits fondamentaux d’une telle minorité  dont l’existence serait constamment niée par les autorités ? Le critère, ici retenu par la Cour, laisse perplexe. Et on ne peut que le regretter ! La Cour (et le droit) aurait tellement gagné à dénationaliser le débat retenant des critères qui ne serait pas sous le coup des souverainetés étatiques, permettant alors d’objectiver la définition.

L’avancée : le droit à l’alimentation découlant du droit à la libre disposition des ressources naturelles

En général, le droit à l’alimentation est reconnu comme découlant du droit à la vie, et la Commission africaine a eu l’occasion, dans une décision du 27 octobre 2001 impliquant des populations autochtones de prendre position en ce sens. Or, la Cour considère dans l’affaire Ogiek que celui-ci découle de l’Article 21 qui vise à garantir le libre accès aux ressources naturelles. À vrai dire, même les commentateurs les plus éclairés n’avaient pas envisagé cette possibilité (voir sur ce point, M. Kamto (dir.), La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Protocole y relatif pourtant création de la Cour africaine des droits de l’homme – Commentaire article par article, Bruylant, Bruxelles, 2011, pp. 518 – 585). Or, la Cour, au paragraphe 200 de sa décision considère que l’expulsion des Ogiek des forêts Mau les a privé de leur nourriture traditionnelle, les Ogiek étant un peuple de chasseurs cueilleurs. Il s’agit là d’un point exemplaire de la décision de la Cour qui reconnait le droit à l’alimentation traditionnelle d’une population indigène. Considérer qu’il découle du droit à la libre disposition des ressources naturelles est aussi une formidable reconnaissance des spécificités des chasseurs cueilleurs d’Afrique dont on sait qu’ils se se font de plus en plus rares… et qu’il est donc nécessaire de les protéger !

 

Bien que porteuse d’espoir, cette décision de la Cour africaine, illustre les tensions actuellement ressenties à la Cour africaine, qui se doit de composer entre la souveraineté des États, parfois peu enclins à s’engager dans une protection effective des droits fondamentaux, et la nécessité de protéger ces derniers.

 

Auteur : David PAVOT

David PAVOT est chargé de cours à la Faculté de droit de l'UdeS. Docteur en droit international, il s'intéresse au droit international public, au droit international économique, au contentieux international, à la théorie du droit international et à la protection des droits fondamentaux.

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