Affaire Henderson de contestation de la loi 99 sur les droits fondamentaux du peuple et de l’État du Québec: vers un contrôle judiciaire de constitutionnalité sans droit constitutionnel? Billet 4/7: critique

Le jugement que, le 18 avril 2018, la juge Claude Dallaire a rendu au nom de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire qui nous occupe peut, à mes yeux, être qualifié d’OJNI (objet judiciaire non identifiable), du moins en ce qui concerne ses motifs.

La juge Dallaire a rejeté la demande de Henderson pour plutôt déclarer que «les articles 1, 2, 3, 4, 5, et 13 de la Loi sur l’exercice des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec que le requérant conteste, [sic] respectent la Constitution ainsi que la Charte des droits et libertés». Or, dans ses motifs, le lecteur cherchera en vain la trace d’un contrôle de conformité à cette partie de la loi suprême du Canada (voir à ce sujet Maxime St-Hilaire, Patrick F. Baud and Éléna S. Drouin) qu’est la Charte canadienne des droits et libertés. Quant au contrôle de conformité à la répartition fédérative des compétences constituante et législatives, il n’y est, en réalité, guère davantage présent. La juge Dallaire s’est plutôt contentée, en se fondant sur une mauvaise compréhension de ce principe interprétatif qu’est la présomption de constitutionnalité des lois, de conclure improbablement que la législature du Québec avait la compétence «constitutionnelle» d’adopter une loi qui, tel que le ministre responsable en avait défendu le projet, n’avait pour d’autre but que de répondre fermement à l’intrusion du législateur fédéral, sans rien faire d’autre que de réaffirmer «tout ce qui existait déjà», de manière apparemment forcément valide.

Les erreurs de droit voire l’éclipse juridique sont tels qu’il devient extrêmement difficile de rendre raison de ce jugement, où l’on ne trouve de véritable analyse ni de la nature véritable des dispositions contestées ni de la portée de la ou des compétences législatives provinciales dans l’exercice desquelles ces dispositions prétendent avoir été validement adoptées.

En lieu et place, on y trouve plutôt la réception, sans bénéfice d’inventaire, de la qualification de la loi en cause par le ministre qui en avait déposé le projet, qualification qui s’accompagnait d’une interprétation juridiquement erronée de la Loi de clarification fédérale.

Autant dire d’entrée qu’on se trouve, avec ce jugement, dans l’univers de la pure politique plutôt que dans le domaine du droit. Cela explique en partie comment ce jugement contient une tentative d’introduction d’invraisemblables notions de droit canadien, dont celle d’une «loi fondamentale» qui ne serait ni formellement constitutionnelle, ni quasi constitutionnelle, sans relever non plus de la loi ordinaire, idée qui vient s’amalgamer à celle de loi provinciale «à caractère solennel dont le message fort pointe vers ce qui s’apparente en tous points à une charte constituante» (par. 304).

La présomption de constitutionnalité des lois veut que, autant que faire se peut, de plusieurs interprétations possibles d’une loi ou de dispositions contestées, le contrôle retienne celle suivant laquelle celles-ci sont constitutionnelles: Siemens c. Manitoba, par. 33; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, par. 81. Ce principe interprétatif suppose qu’ait été faite une analyse de constitutionnalité. Il n’en est pas une dispense.

S’il revient à celui qui conteste des dispositions législatives de démontrer leur inconstitutionnalité, ce n’est pas pour autant à lui qu’incombe, lorsque la contestation se situe sur le plan compétenciel (allégation d’ultra vires), de déterminer, pour les réfuter, toutes les hypothèses d’exercice valide d’une ou de plusieurs compétences déterminées. En d’autres termes, c’est à la Procureure générale du Québec qu’il revenait ici d’indiquer la ou les compétences provinciales, concurrentes ou exclusives, dans l’exercice desquelles les dispositions contestées avaient été validement adoptées. Et il était du devoir de la juge Dallaire de vérifier le rattachement dit «principal» de ces dispositions avec la ou les compétences provinciales ainsi invoquées en défense. Or ses motifs ne contiennent (ni ne renvoient précisément à) aucune définition de compétence législative provinciale donnée, pas même la compétence que reconnaît l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 à chacune des législatures provinciales de modifier la « constitution de la province », sur laquelle elle prétend pourtant vaguement fonder sa décision. Il est d’ailleurs symptômatique de lire chez la juge Dallaire l’affirmation selon laquelle l’adoption de ce qu’elle insiste pour appeler la «Loi 99» (sic) relevait «des pouvoirs que l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou l’article 92(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, pour les plus frileux, confèrent au Québec» (par. 522), tandis que la première disposition s’est substituée à la seconde (qui est donc depuis lors abrogée): Loi constitutionnelle de 1982, par. 53(1).

La vérification du rattachement «dominant» ou «principal» de dispositions contestées à la compétence du législateur qui les a adoptées est fonction de leur «nature véritable»: voir par ex. Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, par. 65.. C’est donc dire que la détermination de celle-ci doit précéder celle du rattachement compétenciel. L’expression jurisprudentielle de «nature véritable» renvoie au devoir de l’interprète, à plus forte raison celui de cet interprète «authentique» (comme dirait Kelsen) qu’est le juge, de contrôler les apparences: voir par ex. Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville), par. 49. D’autre part, la détermination de la nature véritable de dispositions législatives dont la constitutionnalité est contestée s’éclaire certes de leur objet et de leurs effets mais ne doit surtout pas confondre la lampe et la page, en d’autres mots le moyen et la fin: voir par exemple, outre l’avis et l’arrêt qui précèdent, Québec c. Canadian Owners and Pilots Association; Québec c. Lacombe; Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta; Bande Kitkatla c. Colombie‑Britannique, par. 54; R. c. Morgentaler, p. 482-483; Attorney-General for Alberta c. Attorney-General for Canada, [1939] AC 117 (C.P.); Gold Seal Limited v. Dominion Express Company and A.-G. Alberta.  

Il est de la responsabilité de la cour de faire porter le contrôle, en dernière analyse, sur des normes juridiques, non pas sur de pures intentions, sur des effets lointainement conjecturés ou sur d’autres faits. La cour de contrôle, qui juge en droit, a pour fonction d’appliquer des normes juridiques (de degré supérieur) à d’autres normes juridiques (de degré inférieur).

Or les motifs de la juge Dallaire ne s’intéressent qu’à l’objet des dispositions contestées, dont elle se dit convaincue qu’il était de «réaffirmer des choses [sic] qui existent déjà» (par. 348), de «réitérer des principes déjà existants, se trouvant dans diverses lois québécoises, pour certains, et, pour d’autres, au cœur même du système politique québécois et canadien, lesquels reposent sur le principe d’une société démocratique, [et de] regrouper ces droits et principes au sein d’un seul instrument unique [sic] et fort dont le but ultime était de transmettre le message [qu’elle] paraphras[e] par [sic] le slogan « Maîtres chez nous »» (par. 565). Dans un style peu judiciaire voire peu juridique, notre juge écrit que si «les idées énoncées à l’article 13 [de la « loi 99 »] [ne] constituent [qu’]une redite», c’est parce que le législateur québécois «a été très heurté par l’essence de ce qui se trouve dans la [Loi de clarification fédérale] et qu’il a jugé important d’ajouter des bretelles à la ceinture, histoire de bien faire passer son message» (par. 541 et 543). Bref, l’objet de la loi québécoise contestée ne serait que de servir de réponse à la loi fédérale sur la clarté référendaire, sans introduire de droit nouveau (par. 330).

La juge Dallaire s’en tient ensuite à ce seul objet retenu de la loi, comme si la nature véritable de celle-ci y était réductible. En effet, un seul paragraphe de ses motifs traite, en les prenant isolément de leur objet, des effets des dispositions contestées, et ce pour conclure que ces dispositions ne peuvent pas «servir de tremplin pour légitimer les séparatistes de [sic] réaliser de sombres desseins pouvant donner lieu à [sic] une déclaration d’indépendance unilatérale entraînant le chaos, comme le craint le requérant» (par. 582). Aux nombreux autres passages des motifs où il est question de sécession unilatérale, c’est pour affirmer que tel n’est pas l’objet ou la nature de la loi, la juge Dallaire ne faisant pas vraiment, comme nous venons de le voir, de distinction entre les deux, mais réduisant plus ou moins consciemment celle-ci à celui-là (par. 336-338, 419, 431, 469, 472-473, 489, 506, 517, 567-568).

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