La modification du statut juridique de l’animal au Code civil du Québec en décembre 2015, d’un bien à un être vivant doué de sensibilité, a fait grand bruit. La décision ontarienne R. c. Krajnc du 4 mai dernier a servi de rappel que l’animal est toutefois toujours un bien au sens du Code criminel.
Anita Krajnc, fondatrice de l’organisation activiste Toronto Pig Save, faisait face à une accusation de méfait, en vertu de l’article 430(1)(c) du Code criminel. Cette accusation fit suite à son action, le 22 juin 2015, d’avoir abreuvé des cochons dans un camion près d’un abattoir ontarien, lors de l’une des activités régulières de son organisation. Celle-ci vise à agir en tant que témoin des conditions des animaux d’élevage, particulièrement lors du transport, et à leur offrir des actes de compassion lors de leurs dernières journées de vie. À ce moment, le chauffeur du camion est sorti pour intimer Madame Krajnc de cesser d’abreuver les cochons du camion, ce qu’elle a refusé de faire. Il fut allégué par la Couronne que l’eau constituait en réalité un « liquide inconnu », pouvant mener au refus de l’abattoir d’accepter les cochons s’en étant abreuvés, voire tous les cochons de ce camion. L’action à la base de cette accusation fut filmée en entier.
Tel que le souligne le juge Harris, l’accusation et ensuite le procès entourant cette action attirèrent une attention médiatique significative au mouvement de Madame Krajnc (voir notamment des articles à propos de cette décision sur les sites de CBC, CTV News, du National Post, et même du quotidien britannique The Guardian). Le juge Harris note l’ironie; la décision de la Couronne d’aller de l’avant avec ce cas a mené à une publicité négative pour l’industrie du porc potentiellement équivalente à celle décriée par cette dernière comme étant due aux actions de Madame Krajnc (para. 132).
La Couronne avait donc pour tâche de prouver hors de tout doute raisonnable cinq éléments, soit que les cochons constituent des biens; que l’utilisation des cochons était légitime; que Madame Krajnc a empêché, interrompu ou gêné l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime des biens; qu’elle a accompli ceci de façon volontaire; et qu’elle a accompli ceci sans justification ou excuse légale ou apparence de droit. Le juge Harris aborde les cinq éléments, malgré qu’il réponde par la négative au troisième de ceux-ci. Il n’existe en effet aucune preuve à l’effet que le liquide donné soit autre que de l’eau, ou soit contaminé; Madame Krajnc a offert sa bouteille au chauffeur pour qu’il effectue des tests, ce qu’il a décliné. Le chauffeur a d’autant plus conduit les cochons à l’abattoir, sans formalité additionnelle tel que le serait nécessaire s’il estimait que les cochons avaient été « contaminés ». Puisque Madame Krajnc n’a fait que donner de l’eau à des cochons dans un camion en arrêt à une lumière rouge, et que ces cochons furent abattus de façon routinière, le juge Harris conclut que la Couronne a failli à la tâche de prouver la présence du troisième élément.
Malgré le rejet explicite du juge Harris de l’argument des avocats de la défense à l’effet que les animaux non-humains constituent des personnes, plutôt que des biens (voir para. 28-37), quatre témoins-expert-e-s ont eu l’opportunité de témoigner relativement à l’élevage industriel de la viande, visant à expliquer la justification des actions de Madame Krajnc. Dre Lori Marino, neuroscientifique, a abordé la dimension éthique des motivations de l’activiste, par la démonstration de la nature sociable et sensible des cochons. Dre Armaiti May, vétérinaire, a également abordé la dimension éthique par ses observations sur le niveau de détresse des cochons dans ce camion. Professeur Tony Weis a quant à lui abordé la dimension environnementale des motivations de Madame Krajnc, quant au caractère non durable de l’élevage industriel moderne en raison de son inefficacité à nourrir une population grandissante au long terme et de sa contribution aux changements climatiques. Finalement, Dr David Jenkins, chercheur en nutrition, a abordé les motivations liées aux effets néfastes établis de la consommation de viande sur la santé humaine.
Anita Krajnc faisait également jusqu’à tout récemment l’objet d’accusations d’entrave à la police et bris d’engagement dans un autre contexte, soit celui de ses actions lors du renversement d’un camion transportant des cochons vers un abattoir en octobre dernier. Lors de cet accident, 40 cochons sont décédés, et les autres ont marché vers l’abattoir adjacent, escortés par des employé-e-s de celui-ci. Madame Krajnc a traversé la zone délimitée par la police afin de filmer l’état des cochons. Les accusations ont été suspendues par le Procureur général de l’Ontario le 26 mai dernier.
Certes, l’utilisation de ressources judiciaires par la Couronne, en ces temps de médiatisation du retard significatif de traitement des dossiers par les tribunaux, pour déterminer la culpabilité d’une personne ayant donné à boire à des cochons en route vers l’abattage, en contexte de canicule estivale, est fort questionnable, tel que soulevé notamment par Christie Blatchford. Mais cette cause pourrait contribuer à une action législative éventuelle visant à pallier la dissonance cognitive ressentie par plusieurs par rapport au statut de bien des animaux non-humains en droit criminel, les dispositions relatives à la cruauté envers les animaux étant incluses dans la Partie XI du Code criminel, « Actes volontaires et prohibés concernant certains biens ». Ceci est d’autant plus le cas dans le contexte québécois où il fut déterminé en 2015 que l’animal n’est pas un bien au sens du Code civil. En effet, des propos référant directement à ce statut pour les cochons, ainsi qu’un rappel qu’il en est ainsi pour les chiens et les chats au Canada (voir para. 35-37, sans distinction faite du régime civil québécois), ont le potentiel de générer des réactions populaires similaires ayant menées à une réforme du statut juridique de l’animal au Québec, ou du moins à ajouter une pierre à cet édifice.
Une dissonance se consolide en étant aussi clairement formulée au sein d’une rare décision relative à des animaux de ferme, soit celle du statut juridique de l’animal différant au sein de deux juridictions s’appliquant au Canada, l’une provinciale et l’autre fédérale, ainsi celles du droit civil au Québec et du droit criminel.
S’il est tout à fait vrai que la loi québécoise a tenu à affirmer que les animaux ne sont pas des biens, il est quand même frappant de constater que cette belle affirmation est immédiatement suivie, à l’alinéa 2 de l’article 898.1 du Code civil de ceci: Outre les dispositions des lois particulières qui les protègent, les dispositions du présent code et de toute autre loi relative aux biens leur sont néanmoins applicables.
Le sujet est en tout cas d’actualité et ce billet a le mérite de le rappeler ! Merci
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Tout à fait, merci! Espérons que cela aura tout de même un effet au-delà du symbolique en ce qui concerne les futures interprétations impliquant des animaux!
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