En vertu de ce bien social qu’est l’État de droit moderne et que, sous le nom de « primauté du droit » , notre droit constitutionnel formel (supralégislatif) reconnaît jurisprudentiellement en tant que « principe non écrit » , toute attribution de pouvoir coercitif est chose sérieuse, à plus forte raison si ce pouvoir est de nature pénale, si bien qu’un tel pouvoir doit être prévu par la loi qui, elle, doit toujours être valide en vertu de la loi suprême et du droit constitutionnel formel « non écrit » . Aussi prosaïques soient-ils, les tickets de parking ne se dérobent pas à cette réalité normative.
La Loi constitutionnelle de 1867 attribue compétence exclusive aux législatures provinciales sur l’ « éducation » (art. 93) et sur les « institutions municipales » (par. 92(8)), et leur confère une compétence pénale accessoire aux attributions exclusives qui leurs sont faites aux termes de son article 92 (seulement).
La Loi relative à l’Université de Sherbrooke de 1954 (LQ 1954, c. 136), telle que modifiée en 1978 (LQ 1978, c. 125), à son alinéa 2b.o), prévoit ce qui suit : « L’Université a les pouvoirs, droits et privilèges des corporations ordinaires en outre de ceux conférés par la présente loi, et notamment : […] demander, favoriser et obtenir tout statut, ordonnance, ordre, règlement ou autre autorisation ou disposition législative ou administrative, qui serait de nature à lui profiter directement ou indirectement et s’opposer à toutes procédures ou demandes qui pourraient être de nature à nuire directement ou indirectement à ses intérêts. »
Justement, l’article 79 de la Loi sur les compétences municipales (RLRQ, c. C-47.1) prévoit quant à lui ce qui suit: « Toute municipalité locale peut, par règlement, régir le stationnement. [¶] Dans l’exercice du pouvoir prévu au premier alinéa, elle peut déterminer, après avoir obtenu le consentement du propriétaire, les aires de stationnement privées auxquelles le règlement s’applique. »
Le Règlement de circulation et de stationnement des campus sherbrookois de l’Université de Sherbrooke (règlement 2575-025), adopté sous forme de résolution du conseil d’administration (CA-2016-06-20-14) de ladite université, prévoit ainsi que « [l]e règlement no 1 de la Ville de Sherbrooke concernant les stationnements et les activités interdites dans les rues s’applique intégralement sur les campus sherbrookois en vertu d’une entente à cet effet […] ».
Le Règlement général no 1 de la Ville de Sherbrooke prévoit donc, à son par. 5.2.101(2), que « sont applicables sur le territoire de l’Université de Sherbrooke situé dans les limites de la ville [… l]es dispositions relatives au stationnement du règlement 2575-025 intitulé Règlement de circulation et de stationnement des campus sherbrookois de l’Université de Sherbrooke adopté le 20 juin 2016 par la résolution CA-2016-06-20-14, dont copie est annexée aux présentes pour en faire partie intégrante ». Ce règlement (municipal général no1) prévoit aussi que « [t]oute personne contrevenant à l’une des dispositions concernant le stationnement contenues à l’article 5.2.101 commet une infraction […] ».
En somme, parce qu’elle a fait adopter le contenu de son règlement de stationnement par le règlement général de la ville et qu’elle a consenti à l’application de celui-ci sur sa propriété, l’UdeS aurait réussi à déterminer le contenu de normes pénales de stationnement applicables sur son campus principal de Sherbrooke. Sauf à voir, comme me l’ont fait faire deux de nos frais diplômés, Adam Scott et Maude Benoit-Charbonneau, dans l’adoption par la ville de l’article 5.1 du règlement de stationnement de l’UdeS la sous-délégation illégale d’un pouvoir réglementaire, puisque cette disposition prévoit que « [l]es frais applicables et les périodes de validité des différents droits de stationnement sont définis dans la Directive [de l’UdeS « découlant » de ce règlement] » .
Sinon, restent les questions du pouvoir de poursuite et de celui d’émettre des constats d’infraction.
L’article 144 du Code de procédure pénale dispose que « [t]oute poursuite pénale est intentée au moyen d’un constat d’infraction« , et son article 156, qu’un telle poursuite « débute au moment de la signification d’un constat d’infraction » . L’article 9 de ce même code prévoit que « [p]euvent être poursuivants: 1° le procureur général; [¶] 1.1° le directeur des poursuites criminelles et pénales; [¶] 2° le poursuivant désigné en vertu d’une autre loi que le présent code, dans la mesure prévue par cette loi; [¶] 3° la personne qu’un juge autorise à intenter une poursuite » .
L’article 576 de la Loi sur les cités et villes prévoit qu’« [u]ne poursuite pénale pour la sanction d’une infraction […] d’un règlement, d’une résolution ou d’une ordonnance du conseil peut être intentée par la municipalité ». Mais cette loi ne prévoit pas qu’une municipalité puisse déléguer ce pouvoir de poursuite.
Le règlement 2575-025 de l’UdeS, et donc le règlement général no 1 de la ville qui en reprend le contenu, prévoit au second aliéna de son article premier que « [t]oute personne employée par l’Université de Sherbrooke comme préposé au stationnement ou agent de sécurité et prévention peut émettre un constat d’infraction en vertu du présent règlement » . Or la ville, en reprenant ce contenu matériel dans son règlement, entend déléguer, non pas un pouvoir de poursuite à l’UdeS, mais celui d’émettre des constats d’infraction aux préposés de celle-ci.
Une municipalité, qui est titulaire du pouvoir de poursuite, peut charger ses préposés de la signification de constats d’infractions. Peut-elle en charger les préposés d’une autre personne (physique ou morale)?
Le deuxième alinéa de l’article 147, relatif au constat d’infraction, du Code de procédure pénale se lit comme suit: « L’autorisation de délivrer un constat que peut donner le poursuivant est faite généralement ou spécialement et par écrit. Elle indique en outre les infractions ou catégories d’infractions pour lesquelles elle est donnée. » Dans le cas qui nous occupe, cette autorisation figure à l’article premier du règlement de stationnement de l’UdeS dont celui de la ville a repris intégralement le contenu. Mais une telle autorisation peut-elle être faite à toute personne, que celle-ci soit ou non la préposée du poursuivant?
Les articles 218.2 à 218.7 (qui forment la section 2 du chapitre VI) du Code de procédure pénale traitent précisément de « l’instruction par défaut des poursuites relatives aux infractions au Code de la sécurité routière (RLRQ, c. C-24.2) ou à un règlement relatif à la circulation ou au stationnement adopté par une municipalité lorsque le défendeur, en application du deuxième alinéa de l’article 163, est réputé ne pas contester la poursuite » . Le deuxième alinéa de l’article 163 prévoit les cas où le défendeur est réputé ne pas contester la poursuite. Dans cette section, il est question à plusieurs reprises de « la personne chargée de l’application de la loi » comme d’une personne qui n’est pas un agent de la paix.
La section 2, relative au « stationnement », du chapitre IX, relatif au « transport », de la Loi sur les compétences municipales contient un article, l’article 81, où il est question de « [t]oute personne autorisée par une municipalité locale à appliquer ses règlements relatifs au stationnement » . Est-ce possible qu’il ne puisse s’agir que d’une personne qui est à l’emploi de la municipalité? Voici l’intégralité du texte de cet article: « Toute personne autorisée par une municipalité locale à appliquer ses règlements relatifs au stationnement peut, en cas de travaux d’entretien ou dans les autres cas que la municipalité détermine par règlement, déplacer un véhicule ou le faire déplacer et le remiser, aux frais de son propriétaire. »
Bref, je n’ai rien trouvé dans la loi qui autorise une municipalité à sous-déléguer le pouvoir de poursuite que lui délègue l’article 576 de la Loi sur les cités et villes — ce que la ville de Sherbrooke ne fait pas — ou celui d’émettre des constats d’infraction à d’autres personnes que ses propres préposés — ce que la ville de Sherbrooke fait. N’étant spécialiste ni du droit pénal ni du droit administratif, et encore moins du stationnement, il est possible que la réponse à la question m’échappe, auquel cas je saurai gré à mon lecteur qui la connaît de me la communiquer.
Dans l’affaire Lac-St-Jean-Est (Municipalité régionale de comté de) c. 2967-5022 Québec inc., la Cour municipale a jugé que « la MRC pouvait désigner la personne qu’elle voulait pour exercer en son nom les pouvoirs délégués [de signification de constats d’infraction]. Elle pouvait faire appel à une personne à son service comme salarié ou comme contractuel, comme elle pouvait recourir aux services d’une personne en dehors de ses services [sic]. Elle a désigné entre autre [sic] l’ingénieur forestier à son service et, de l’avis de la Cour, le fait que celui en fonction était engagé sur une base contractuelle à l’heure ne change rien à la qualité du mandat confié, car il agissait sous l’autorité de la coordonateure et son mandat pouvait être révoqué » . J’essaie de comprendre comment la Cour a pu, d’une part, affirmer que le poursuivant pouvait déléguer le pouvoir de signification de constats d’infraction à une personne qui n’était aucunement « à son service », et ce, pas même aux termes d’un contrat de service, et, d’autre part, accorder une valeur déterminante au fait qu’en l’espèce le délégataire « agissait sous l’autorité de la coordonateure » . La décision de la Cour supérieure dans l’affaire Blais c. Chartierville (Municipalité de), où fut jugée valide une telle délégation qui avait été faite en faveur d’un « inspecteur délégué à la réglementation sur l’abattage d’arbres » , ne m’éclaire guère davantage.
À ma connaissance, aucun contrat de travail ou de service ne lie la poursuivante la Ville de Sherbrooke aux « préposés au stationnement et agents de sécurité et prévention » de l’UdeS, dont je n’ai pas l’impression non plus qu’ils agissent sous l’autorité de celle-là.
Au final, la question que pose le présent billet est de savoir si le deuxième alinéa de l’article 147 du Code de procédure pénale permet à un poursuivant de sous-déléguer à vraiment n’importe qui son pouvoir d’émettre des constats d’infraction. J’ai toujours cru que les dispositions législatives attributives de pouvoir devaient s’interpréter de manière restrictive, à plus forte raison celles portant délégation d’un pouvoir de nature pénale, à plus forte raison encore celles prévoyant la sous-délégation d’un tel pouvoir.
Ce billet doit énormément aux discussions que j’ai eues sur le sujet avec mon collègue le professeur Finn Makela ainsi qu’avec Me Adam Scott et Maude Benoit-Charbonneau.
Une réflexion sur « Est-ce légalement que des constats d’infraction au règlement de stationnement sont émis par des employés de l’UdeS? »