Le Québec peut-il modifier seul la constitution canadienne de manière à faire du français la seule langue officielle de la province? Bien sûr que non.

Le Québec peut-il, comme le prétend l’article 159 de l’actuel projet de loi no 96, modifier seul la constitution canadienne de manière à faire du français l’unique langue officielle de la province? Qu’on le regrette ou non, la réponse à cette question est fort simple: non.

Pourquoi? Parce que la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit ce qui suit:

41 Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de chaque province : […] c) sous réserve de l’article 43, l’usage du français ou de l’anglais[.]

43 Les dispositions de la Constitution du Canada applicables à certaines provinces seulement ne peuvent être modifiées que par proclamation du gouverneur général sous le grand sceau du Canada, autorisée par des résolutions du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de chaque province concernée. Le présent article s’applique notamment : […] b) aux modifications des dispositions relatives à l’usage du français ou de l’anglais dans une province.

Le statut formellement constitutionnel de l’anglais et du français au Québec est d’ailleurs prévu à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui fait de ces deux langues des langues parlementaires, législatives et judiciaires. En voici le texte :

133 Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais dans la rédaction des archives, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire; et dans toute plaidoirie ou pièce de procédure par-devant les tribunaux ou émanant des tribunaux du Canada qui seront établis sous l’autorité de la présente loi, et par-devant tous les tribunaux ou émanant des tribunaux de Québec, il pourra être fait également usage, à faculté, de l’une ou de l’autre de ces langues.

Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.

Peut-on faire davantage officiel? Difficilement. Voir d’ailleurs à ce sujet les arrêts Blaikie de 1979 et de 1981, ainsi que l’arrêt McDonald de 1986.

Au demeurant, un législateur ordinaire, dans l’exercice de la compétence prévue à l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982 par exemple, ne peut pas, sous prétexte de dispositions « déclaratoires », s’approprier, pour les détourner, les effets symboliques accessoires des dispositions de la (vraie) loi constitutionnelle en tant que loi suprême du Canada. Sur ces notions, voire le court article de Patrick Baud, Éléna S. Drouin et moi avons fait paraître dans le Constitutional Forum. Mais c’est en vertu du principe de constitutionnalisme, reconduit et confirmé par le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qu’une loi ordinaire ne peut pas même détourner les effets accessoires des dispositions de la loi suprême. Pour qu’il en soit autrement, il faut que ce soit prévu dans celle-ci (comme à l’article premier de la Loi constitutionnelle de 1982) ou admis suivant un « test » jurisprudentiel (tel celui de l’arrêt Sparrow, relatif aux droits constitutionnels reconnus aux peuples autochtones à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ou encore ceux relatifs à la résolution des conflits de compétences). En dehors de ces exceptions, du reste, il faut se souvenir que les dispositions de la loi suprême (y compris dans leur rapport de conditionnement de validité de la loi ordinaire), doivent être interprétées de manière « architecturale » ou fonctionnaliste, à la lumière de leur objet respectif et propre au sein d’un ensemble cohérent. Inutile, donc, d’insister de manière littérale sur l’emploi du mot « usage », au paragraphe 43b) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour tenter de lui faire se dérober une simple « déclaration » de « langue officielle » unique. Dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art 5 et 6 (au par. 106), la majorité a souligné que l’affirmation qu’une disposition est déclaratoire n’écarte pas la possibilité que cette disposition soit incompatible avec la Constitution si son dessein ou son effet est de modifier la Constitution sans se conformer aux procédures de modification prévues par celle-ci.

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