Affaire Boulerice c. Chambre des communes: les trois premières erreurs de la Cour d’appel fédérale

De retour de vacances, je reprends cette série sur une note triste. Dans l’intervalle, Me James RK Duggan qui, en collaboration avec Me Julius Gray, avait eu recours à mes services d’expert dans cette affaire, est mort dans un écrasement d’avion. Quelques jours plus tard, la Cour suprême du Canada rejetait sa demande d’autorisation d’en appeler devant elle de la décision de la Cour d’appel fédérale. La plus haute juridiction au pays n’a donc pas vu dans cette affaire l’occasion de corriger les problèmes, pourtant graves et nombreux, que pose sa jurisprudence relative au privilège parlementaire. Il y a plus, comme je l’avais annoncé en conclusion de mon dernier billet.

Les motifs, en l’occurrence unanimes, de la décision de la Cour d’appel fédérale de faire droit à la demande de radiation du Bureau de régie interne (BRI) et du Président de la Chambre des Communes dans l’affaire Boulerice ont été rédigés par son président le juge en chef Noël. Ses erreurs sont nombreuses et déterminantes. Le juge en chef Noël estima que le test de l’arrêt Vaid trouvait application et que démonstration avait été faite de ce que le privilège parlementaire allégué relevait non pas d’une, mais de trois catégories «péremptoirement établies», en l’occurrence celles des «affaires internes», du «pouvoir disciplinaire» et des «débats et travaux du parlement».

Sa première erreur est d’avoir conclu beaucoup trop facilement que le BRI faisait partie de la Chambre des communes, de manière à jouir d’office des privilèges parlementaires de celle-ci (par. 7-14). Son argument le plus fort à l’appui de cette thèse était que le double fait que, en vertu des par. 148(1) et 37(2), respectivement, du Règlement de la Chambre des communes, le compte rendu des délibérations du BRI de la session précédente soit déposé sur le bureau Chambre et qu’un député puisse poser des questions à un membre désigné par l’organe qui nous occupe lors de la période des questions orales. Cet argument demeure bien faible devant la prise en compte de l’ensemble du cadre légal du BRI. Ainsi que nous l’avons vu dans le deuxième billet de la présente série, une lecture attentive de la Section D de la Partie III de la Loi sur le Parlement du Canada (LPC), qui le constitue (art. 50), donne à penser que le BRI ne fait pas partie de la Chambre des communes. Certes, celui-là se compose de députés de celle-ci avec laquelle il se partage les services d’une même personne à titre de président (art. 50) et dont le greffier lui sert de secrétaire (art. 51). En revanche, la Chambre des communes n’exerce aucun contrôle sur le BRI, qui en est indépendant, davantage même qu’il ne l’est des tribunaux. Cette indépendance est en partie assurée par la prestation d’un serment ou affirmation solennelle de fidélité et de discrétion (par. 50(5) et (6)). Chargé de la préparation de prévisions budgétaires, ce n’est pas directement que le BRI transmet celles-ci à la Chambre des communes, mais par le truchement du Conseil du Trésor (par. 52.4(1)). Ce ne sont pas ses projets de règlement, mais les règlements qu’il a déjà pris, que le BRI doit déposer auprès de la Chambre des communes ou remettre au greffier de celle-ci (art. 52.5).

Sa deuxième erreur est – dans l’hypothèse bien sûr où le BRI ferait partie de la Chambre des communes de manière à pouvoir se faire attribuer des privilèges parlementaires – de n’avoir jamais envisagé que l’allégation de privilège relatif aux «débats et travaux du parlement» pût ne relever que des par. 52.2(2) et (donc) 4b) de la LPC, dispositions qui sont sans rapport avec l’arrêt Vaid comme nous l’avons vu. Si cette hypothèse eût été avérée, alors le moment déterminant aux fins du contrôle de constitutionnalité de cette attribution aux termes de l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 (LC 1867) aurait été le 22 juin 2017, date à laquelle la loi porteuse de cette modification de la LPC a reçu la sanction royale. Certes, par son emploi des mots «il est entendu que» et à la lumière du contexte paniqué de son adoption, l’actuel par. 52.2(1) de la LPC se présente plutôt comme une disposition interprétative. Or, cela, le juge en chef Noël pouvait toujours en prendre acte. Le problème est qu’il ne se soit pas posé la question avant de se livrer au test de l’arrêt Vaid.

Sa troisième erreur est d’avoir échoué à bien déterminer le rattachement catégoriel de l’allégation de privilège en cause au droit qui lui était applicable. Le juge en chef Noël a d’abord retenu que «[l]e privilège parlementaire invoqué par les appelants en l’espèce est le droit exclusif de la Chambre de surveiller l’utilisation des deniers et des ressources fournis aux députés pour leur permettre d’exercer leurs fonctions parlementaires et de trancher les affaires portant sur les règles adoptées pour ce faire» (par. 62). Il lui fallait ensuite déterminer si une telle allégation correspondait à une catégorie connue du droit du privilège parlementaire, et non plusieurs à la fois. En effet, et comme nous l’avons vu, dans l’affaire Chaytor par exemple, la Cour suprême britannique n’a jamais envisagé que de mêmes faits puisse à la fois relever de plusieurs privilèges parlementaires prévus par le droit. Pour Lord Phillips, l’allégation déclinatoire relative à la demande de remboursement de dépenses elle-même devait être qualifiée d’allégation de privilège de liberté de parole et de débat dans les travaux parlementaires en vertu de l’art. 9 du Bill of Rights, tandis que l’allégation déclinatoire relative au contrôle d’une telle demande devait être qualifiée d’allégation de privilège de connaissance parlementaire exclusive. Pour Lord Rodger, il était inutile en l’espèce, sur le plan des faits, de distinguer la demande de remboursement de son contrôle et, sur le plan du droit, de distinguer un privilège relatif à la liberté de travaux parlementaires de celui de connaissance parlementaire exclusive. Quant à Lord Clarke, ses motifs peuvent difficilement admettre une telle réduction du premier au second privilège parlementaire. Aucun des trois juges n’a envisagé qu’une même allégation factuelle précise puisse relever à la fois de plusieurs catégories connues du droit relatif au privilège parlementaire.

Je trouve cette dimension des motifs du juge en chef Noël particulièrement symptomatique. Au vu de la manière dont il avait défini l’allégation, la catégorie applicable n’était autre que celle du privilège parlementaire de connaissance exclusive, qui du reste ne figure pas à son improbable triple rattachement. «Les contours de ces catégories [de privilèges parlementaires] ne sont pas faciles à déterminer, et l’analyse est compliquée par le fait qu’elles se chevauchent souvent», a écrit le juge en chef Noël (par. 65). S’il avait bien lu et compris l’arrêt Chaytor, il ne se serait pas autorisé l’expédient du triple rattachement, mais se serait attaché à l’analyse fonctionnaliste dont il avait la responsabilité afin de déterminer le seul et unique rattachement catégoriel dominant.

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