Microsynthèse critique du projet de loi sur la « relance économique »

Voici l’heure (que j’espère) juste sur l’actuel projet de loi sur la relance économique.
  • L’essentiel à en retenir, c’est qu’il s’agit d’une espèce de désaveu des dispositions relatives à l’urgence sanitaire de la Loi sur la santé publique, loi qui ne sera pas formellement modifiée, mais aux (pourtant faibles) contraintes de laquelle on entend désormais déroger. Cela est donc fait en plein recours à ces dispositions de la Loi sur la santé publique. Bref, on change les règles du jeu, établies au préalable, pendant la partie. Normalement, en fait de bonnes pratiques, on ne fait cela qu’à la majorité qualifiée. (Couvert dans mon billet du 4 juin.)
  • L’autre dimension importante est qu’on prévoit ainsi écarter un contrôle parlementaire que les dispositions sur l’urgence de la Loi sur la santé publique prévoyaient déjà de manière insuffisante. (Couvert aussi dans mon billet du 4 juin.)
  • Le projet contient une disposition de type Henry VIII, autorisant le gouvernement à modifier certaines dispositions législatives, qui bien sûr ne comprennent pas celles de la loi habilitante projetée. La constitutionnalité d’un tel procédé est débattue par la doctrine. Cette habilitation est toutefois temporaire.
  • Il faut relever qu’il n’y a pas de modification permanente de la législation québécoise. La loi qu’on prévoit loi modifier, portant création d’un Centre d’acquisitions gouvernementales et « Infrastructures technologiques Québec », ne le serait que sur le moment de son entrée en vigueur. Une tendance inquiétante et paradoxale qu’avait relevée Karin Loevy dans son brillant ouvrage sur les pouvoirs d’urgence dans le monde, semble encore épargner les Québécois: voir les gouvernement, en situation de crise, non pas seulement gouverner sous moins de droit, mais profiter de la crise pour initier des réformes majeures et permanentes, renforçant les pouvoirs de l’exécutif et de l’administration publique. Il y a toutefois une exception: des amendements au projet prévoient maintenant des modifications permanentes à la législation ainsi qu’à la réglementation relatives aux permis d’alcool et la publicité des boissons alcoolisées. Mais je n’y ai rien vu de bien méchant.
  • En somme, la loi projetée donnerait au gouvernement des pouvoirs exorbitants, dérogatoires à la législation applicable à l’expropriation, aux contrats publics et à la protection de l’environnement, notamment. Elle le ferait temporairement, car la validité des mesures exceptionnelles serait en principe de deux ans. Deux ans, c’est une durée d’une tout autre catégorie que celle des 10 ou (avec l’assentiment de l’Assemblée nationale) 30 jours prévus par l’article 119 de la Lois sur la santé publique. Justement, il ne faut pas oublier non plus la durée maintenant indéterminée pendant laquelle le gouvernement pourra désormais exercer les vastes pouvoirs prévus aux dispositions de la Loi sur la santé publique relatives à la déclaration d’urgence sanitaire – jusqu’à ce qu’il décide d’y mettre fin.
  • La publication de *certains* *projets* de mesures exceptionnelles est facultative, mais celle des mesures *prises* demeure *toujours* obligatoire. En revanche, les mesures d’exception pourront être prises plus tôt que normalement après la publication du projet, le cas échéant, ainsi qu’entrer en vigueur dès leur publication.
  • Le projet choque par sa forme, qui est de contournement de la Loi sur la santé publique. Il choque par l’ampleur des pouvoirs de dérogation à la loi dont il prévoit l’attribution au gouvernement et dont on ne voit pas la nécessité. Il choque par la durée de validité prévue en réalité pour les mesures exceptionnelles à venir, soit en principe deux ans, mais indéterminée pour ce qui concerne les arrêtés qui seront pris aux termes des dispositions d’urgence de la Loi sur la santé publique. Il choque par son paradoxe, qui le voit accompagner des mesures de « retour à la normale » par une poussée quantitative, qualitative et temporelle de l’exception. Il a donc toutes les apparences d’une instrumentalisation « à la hongroise » de l’urgence.

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